Des aptamères ultrasélectifs pour contrer les virus

Illustration de MEDUSA (Multivalent Evolved DNA-based SUpramolecular Assemblies), en blanc, interagissant avec une protéine cible (rose). 2025 PBL EPFL CC BY SA 4.0

Illustration de MEDUSA (Multivalent Evolved DNA-based SUpramolecular Assemblies), en blanc, interagissant avec une protéine cible (rose). 2025 PBL EPFL CC BY SA 4.0

En s’inspirant de la façon dont les virus se fixent aux cellules, des scientifiques de l’EPFL ont mis au point une nouvelle méthode de conception d’aptamères ultrasélectifs. Ces molécules synthétiques, qui se lient à des cibles spécifiques comme les protéines virales Spike, sont utiles pour les diagnostics et les traitements biomédicaux.

Nous avons déjà toutes et tous entendu parler des anticorps, ces protéines produites par notre corps qui se lient aux virus ou aux bactéries et les marquent afin qu’ils soient éliminés par le système immunitaire. Mais nous ne sommes pas toutes et tous familiers avec les aptamères, de courts segments d’ADN ou d’ARN conçus pour se lier, comme les anticorps, à des cibles spécifiques. Synthétiques et peu coûteux à produire, les aptamères sont des alternatives intéressantes aux anticorps pour les diagnostics et les traitements biomédicaux.

Lorsque de nouveaux liants aptamères sont nécessaires, par exemple pour détecter un nouveau virus, ils sont développés à partir de bibliothèques de millions de séquences d’acides nucléiques parmi lesquelles les meilleures correspondances pour une cible donnée sont sélectionnées et amplifiées. Jusqu’à présent, ces bibliothèques ne contenaient que des liants monovalents: des séquences qui se lient à un site sur une molécule cible. Mais cela contraste avec la structure de nombreuses protéines réelles, y compris les protéines Spike du SARS-CoV-2, de la grippe et du VIH. Ces structures, que les virus utilisent pour infecter les cellules, sont composées de trois sous-unités identiques présentant trois sites de liaison potentiels.

Nous nous sommes demandé: ne serait-il pas préférable de pré-organiser notre bibliothèque pour obtenir des liants qui correspondent à la géométrie exacte d’une cible? Et, comme par magie, cette approche s’avère efficace.

Maartje Bastings

Malheureusement, l’utilisation de liants monovalents pour ces complexes à trois unités (trimériques) est aléatoire. Maartje Bastings, responsable du Laboratoire de biomatériaux programmables de la Faculté des sciences et techniques de l’ingénieur de l’EPFL, compare cela à «jeter des spaghettis contre un mur, car quelque chose va sûrement coller quelque part».

Maartje Bastings explique: «On ne peut pas contrôler où un liant monovalent interagit avec sa cible: par exemple, il peut se lier au côté d’une protéine plutôt qu’à l’interface de liaison, ce qui réduit sa fonctionnalité. Autrement dit, on ne peut pas choisir l’endroit sur le mur où une pâte va coller. Nous nous sommes donc demandé: ne serait-il pas préférable de pré-organiser notre bibliothèque pour obtenir des liants qui correspondent à la géométrie exacte d’une cible? Et, comme par magie, cette approche s’avère efficace.»

Maartje Bastings et son équipe ont récemment présenté la première technique de production d’aptamères multimériques, qui ciblent les complexes protéiques avec une précision et une fonctionnalité sans précédent. En effet, les liants développés avec l’approche du laboratoire, appelée MEDUSA (Multivalent Evolved DNA-based SUpramolecular Assemblies), donnent des affinités de liaison entre 10 et 1 000 fois plus fortes que celles obtenues avec les liants monovalents. Ils se sont également avérés beaucoup plus sélectifs, ce qui est essentiel pour les diagnostics. La recherche a été publiée dans Nature Nanotechnology.

Nous avons rétroconçu le paradigme naturel observé dans les virus, dans lequel les assemblages de molécules multivalentes coévoluent, et l'avons traduit en une nouvelle méthode de découverte de liants qui nous permet de sélectionner des liants multivalents capables de bloquer ces virus

Artem Kononenko

Une approche bioinspirée

La clé du développement des liants trimériques est l’échafaudage: une structure moléculaire autour de laquelle trois unités de liaison s’assemblent naturellement. Dans leurs expériences, les scientifiques ont développé leur échafaudage en se basant sur la géométrie de la protéine Spike du SARS-CoV-2. En ajoutant ces échafaudages personnalisés à leur bibliothèque d’aptamères, l’équipe a pu biaiser l’espace de séquences vers des candidats trimériques qui se lieraient fonctionnellement à l’interface cible dès le départ.

«Nous avons rétroconçu le paradigme naturel observé dans les virus, dans lequel les assemblages de molécules multivalentes coévoluent, et l'avons traduit en une nouvelle méthode de découverte de liants qui nous permet de sélectionner des liants multivalents capables de bloquer ces virus», résume Artem Kononenko, doctorant et principal auteur.

Une fois qu’un premier lot de liants est identifié, des candidats ayant une affinité croissante pour leur cible sont développés par un processus itératif de sélection et d’amplification appelé «évolution».

Bien que la conception de nouveaux échafaudages puisse prendre quelques heures, le processus d’évolution peut nécessiter des semaines. L’équipe de recherche vise à raccourcir ce délai pour mieux répondre aux besoins des diagnostics et traitements biomédicaux.

Un autre objectif est de développer des liants multimériques ciblant des pathogènes avec des configurations encore plus complexes, comme la dengue (six sous-unités de liaison) ou l’anthrax (sept). «Nous voulons utiliser ce nouvel espace de séquences multivalentes pour entraîner des modèles d’intelligence artificielle générative à le faire pour nous», explique Maartje Bastings.

Références

Kononenko, A., Caroprese, V., Duhoo, Y. et al. Evolution of multivalent supramolecular assemblies of aptamers with target-defined spatial organization. Nat. Nanotechnol. (2025). https://doi.org/10.1038/s41565-025-01939-8


Auteur: Celia Luterbacher

Source: EPFL

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