Décryptage: le génome de la grippe résistante au Tamiflu

CC Creative Commons / Andrew Wales

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La grippe développe rapidement des immunités au célèbre Tamiflu. Des chercheurs de l’EPFL ont mis au point un outil pour débusquer les mutations qui rendent le virus résistant. Ils ont identifié de nouvelles mutations susceptibles de rendre inopérant l’un des rares traitements actuellement disponible sur le marché.

Pour les malades de la grippe, le Tamiflu est l’un des rares traitements disponibles. Mais le virus développe rapidement des résistances. Se multipliant au rythme de plusieurs générations par jour, les agents pathogènes accumulent à toute vitesse les mutations génétiques. Avec pour conséquence une forte probabilité de développer des parades contre l’antiviral. Comment identifier efficacement ces infimes variations dans l’immensité du code génétique? Des chercheurs de l’EPFL ont créé un outil informatique afin de faire la lumière sur la formidable capacité d’adaptation du virus de l’influenza. Ils ont pu découvrir des mutations de résistance jusqu’alors inconnues. Leur logiciel est mis gratuitement à disposition des chercheurs du monde entier, et fait l’objet d’une publication dans PLOS Genetics.

Utilisé à trop large échelle, le Tamiflu induit des résistances
En théorie, le Tamiflu ne devrait être administré qu’aux malades de santé fragile. Mais pendant la période 2008-2009, le médicament a été utilisé pour la première fois à très large échelle. En quelques semaines seulement, des souches résistantes apparaissaient. Heureusement, si la mutation induisait une immunité au Tamiflu, elle avait également pour conséquence un taux de réplication plus faible du virus. Une fois l’utilisation de l’antiviral ramenée à un niveau plus raisonnable, les souches résistantes perdaient leur avantage concurrentiel : elles disparaissaient, submergées par des concurrents sensibles au médicament, mais plus prompts à se reproduire.

Les résistances sont toujours le fait d’une mutation aléatoire, insiste Jeffrey Jensen, co-auteur de l’étude. Mais lorsque l’une d’entre elle entraîne un avantage concurrentiel, par exemple la capacité de résister à une source d’agression, elle tend à se généraliser dans la descendance. «A priori, rien ne distingue une mutation d’une autre, elles sont toutes dues au hasard. Notre but, c’est précisément de pouvoir faire la différence entre les mutations qui rendent le virus résistant au Tamiflu, en entraînant un phénomène de sélection, et les autres mutations», explique Jeffrey Jensen.

De nouvelles mutations de résistance sont découvertes
Première étape, l’équipe menée par Jeffrey Jensen et son collègue Matthieu Foll a cultivé en laboratoire des virus de la grippe H1N1 tout à fait normaux. Certains groupes étaient soumis au Tamiflu, d’autres non. Toutes les 48 heures – soit 13 générations tout de même! – les biologistes séquençaient le code génétique des virus pour mettre en évidence les mutations génétiques survenues dans l’intervalle.

Plus les mutations génétiques des virus exposés au Tamiflu tendaient à se généraliser avec le temps, plus élevée était la probabilité qu’elles induisent des résistances. Avec un outil informatique basé sur de complexes statistiques, les chercheurs ont pu mettre en évidence sur le code génétique viral douze sites porteurs de variations suspectes. Si l’une de ces variations était déjà connue, les autres étaient encore non identifiées.
Des mutations suspectes, coupables à plus de 99%

Grâce à leur logiciel de statistiques, les chercheurs peuvent défricher l’immensité du code génétique viral, et identifier les mutations suspectes d’induire des résistances avec une certitude de plus de 99%. Un formidable outil d’investigation.

Plus inquiétant, les mutations nouvellement découvertes par Jeffrey Jensen pourraient permettre au virus d’être résistant tout en conservant une capacité élevée à se multiplier. Le chercheur n’exclut donc pas que puissent apparaître des souches pathogènes à la fois durables et résistantes au Tamiflu, si l’on répète l’erreur commise en 2008-2009. Pour Matthieu Foll, premier auteur de l’étude, «le risque est réel, et il nous faut investiguer cette piste».


Référence
Influenza Virus Drug Resistance: A Time-Sampled Population Genetics Perspective, in PLOS Genetics, DOI: 10.1371/journal.pgen.100418


Auteur: Lionel Pousaz

Source: EPFL