De la technologie tout-terrain pour les pays en développement

Klaus Schönenberger et Eugénie Ngah, à Efok (Cameroun). © EPFL

Klaus Schönenberger et Eugénie Ngah, à Efok (Cameroun). © EPFL

L’EPFL lance «EssentialTech», un programme unique de développement. Les ingénieurs comptent notamment produire des appareils médicaux adaptés au contexte difficile des pays émergents.

Les appareillages médicaux ont la vie dure dans les pays en développement. En cause, des réseaux électriques défaillants, des pièces fragiles et coûteuses, ainsi qu’un manque de main-d’œuvre qualifiée pour assurer l’entretien. Pour remédier à ce problème, le Centre de coopération et développement de l’EPFL lance une initiative ambitieuse. Le programme EssentialTech rassemble entreprises et institutions de recherche du nord et du sud, dans le but de développer de nouvelles technologies taillées pour les besoins des pays en développement. En ce moment même, les chercheurs travaillent à la mise au point d’un dispositif d’imagerie médicale rompu aux conditions les plus difficiles. Un prototype d’alimentation et un circuit de haute-tension, développés conjointement entre le Laboratoire de systèmes électriques distribués de l'EPFL, HES de Sion et la Heig-VD d'Yverdon-les-Bains, sont d’ores et déjà en test.

Plus des deux tiers du matériel médical n’est jamais utilisé
Les chiffres de l’OMS sont préoccupants. Plus de 70% des dispositifs médicaux de pointe envoyés en Afrique ne sont jamais exploités, faute d’infrastructures adéquates ou de personnel de maintenance. Quand ce matériel peut tout de même être mis en service, instabilités électriques, chaleur ou humidité lui font souvent rendre l’âme après quelques mois d’utilisation. «Parfois, nous faisons face à des problèmes aussi triviaux qu’insolubles, explique Klaus Schönenberger, chef du programme EssentialTech. Par exemple, du matériel qu’on ne peut même pas alimenter, parce qu’il nécessite du courant triphasé, comme souvent pour nos cuisinières électriques, alors que l’hôpital n’est équipé que de courant monophasé standard.»

Un appareil d’imagerie taillé sur mesure
L’idée à la base d’EssentialTech est simple mais ambitieuse. Il s’agit de revoir de A à Z la conception du matériel. Premier projet phare, un appareil d’imagerie médicale, conçu spécifiquement pour les besoins des pays en développement. Les ingénieurs travaillent à la mise au point d’un bloc d’alimentation et d’un circuit à haute tension pour encaisser sans broncher les variations de tension et les coupures de courant.

Les deux-tiers de la population mondiale n’ont pas accès aux technologies d’imageries, explique Klaus Schönenberger. En combinant radiographie et écographie, l’appareil pourra couvrir 90% des besoins d’un hôpital de district.

En Suisse, la conception du prototype rassemble plus de 20 ingénieurs autour de l’équipe de l’EPFL. La Heig-VD et la HES de Sion sont impliqués dans la mise au point des circuits électriques. Le Paul Scherrer Institut (PSI) est chargé du développement de la partie imagerie tandis que le CHUV apporte son expertise pratique. Du côté industriel, les chercheurs peuvent compter sur le savoir-faire de l’entreprise Suisse-alémanique Betschart AG.

Le Cameroun est partenaire dans ce projet. L’EPFL et l’Ecole nationale supérieure polytechnique de Yaoundé ont récemment signé la mise sur pied d’un laboratoire conjoint. Ingénieurs suisses et camerounais, avec le concours de partenaires locaux, vont notamment tester sur place la robustesse de l’appareil d’imagerie et mettre en place une stratégie de déploiement à un prix abordable.

Dépasser les limites de la philanthropie classique
Pour Klaus Schönenberger, une telle entreprise n’est pas sans analogie avec l’industrie spatiale. «Une fois lancé, un satellite doit continuer de fonctionner pendant des années. Il en va un peu de même pour du matériel médical de brousse. Sauf qu’en plus, nous devons tenir compte des paramètres de coût et de production en série.»

EssentialTech se distingue également par sa philosophie. Le but est clairement de mettre en place une chaîne commerciale, où chaque protagoniste puisse trouver son compte. Un enjeu capital selon Bertrand Klaiber, responsable de la stratégie commerciale au sein d’EssentialTech: «c’est une situation où la philanthropie classique montre ses limites. Pour assurer la pérennité du système, vous ne pouvez pas dépendre de donations sporadiques, vous devez développer sur place une chaîne de production, de distribution, de formation et d’entretien, où chaque acteur est payé pour son travail.»

Après le médical, l’énergie ou l’assainissement de l’eau
En ce moment, les ingénieurs travaillent également à la mise au point d’une couveuse pour nouveau-nés, et envisagent le développement de modules afin de stabiliser l’alimentation électrique dans les hôpitaux. L’équipe d’EssentialTech est d’ores et déjà en train de décliner le concept dans d’autres domaines cruciaux tels que la stérilisation de l’eau potable ou l’énergie. Quant à lui, le projet d’appareil d’imagerie, devrait aboutir à un premier prototype complet d’ici à deux ans.