Dans le monde de la science, robots et animaux font bon ménage

© José Halloy

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Les échanges entre roboticiens et biologistes sont fructueux. Les premiers puisent des idées dans la morphologie animale, les deuxième trouvent dans la technologie un outil pour étudier la nature. Francesco Mondada, roboticien à l’EPFL, et Laurent Keller, spécialiste de génétique évolutive à l’Unil, échangent leurs points de vue. Une interview à découvrir au complet avec un dossier spécial «robots-animaux» dans le dernier numéro de Flash.

L’un traite du vivant, l’autre d’électronique et de mécanique. Pourtant, biologistes et roboticiens sont de plus en plus amenés à collaborer et partager leurs connaissances. En ressortent différentes sortes de réalisations, notamment dans le domaine biomédical. Ces échanges ont également donné naissance à la robotique bio-inspirée et son cortège de robots imitant la morphologie d’animaux. Ceux conçus à l’EPFL ont pris comme modèle le chat, la salamandre ou les insectes.

Il en est une troisième: la conception de robots capables de s’immiscer dans des populations d’animaux, avec le but d’en étudier certains comportements. A l’EPFL, l’équipe de Francesco Mondada s’en est fait une spécialité. Associée à un projet impliquant des cafards, elle a poursuivi l’aventure avec des poulets, puis des poissons. De son côté, Laurent Keller, spécialiste des fourmis et de génétique évolutive à l’Université de Lausanne, a mené des recherches en utilisant des robots mis au point à l’EPFL. Pour le journal Flash, dans lequel un dossier spécial «robots-animaux» est à découvrir, le biologiste et le roboticien ont échangé leurs points de vue.

- Au premier abord, on n’imagine pas disciplines plus différentes que la robotique et la biologie. Quels intérêts trouvez-vous dans ces échanges?

Francesco Mondada: En tant qu’ingénieur, j’y vois l’occasion de relever de nouveaux défis, de répondre à des questions qui ne se poseraient pas forcément dans des applications d’ingénierie plus classiques. Lorsque nous avons travaillé sur les robots-cafards, notamment, il y avait des aspects chimiques ou de miniaturisation, qui se sont révélés très intéressants. Ce genre de travail nous amène de nouvelles connaissances, à des idées pour concevoir des mécanismes ou développer des applications inédites.

Laurent Keller: L’utilisation des robots peut se révéler utile dans les situations où on ne peut pas le faire directement avec de vrais animaux, essentiellement lorsque l’on veut étudier les interactions sociales ou un aspect bien particulier du comportement. Dans le projet que je mène avec le professeur Dario Floreano à l’EPFL, on travaille uniquement avec des robots. Le but est d’étudier l’évolution de la coopération entre individus, et plus précisément de voir dans quelles conditions ils deviennent plus ou moins altruistes en fonction de leurs degrés de parenté et des bénéfices qu’ils en retirent. L’avantage, avec les robots, est qu’ils permettent d’observer cette évolution sur un grand nombre de générations, là où cela prendrait des années avec de véritables animaux. Et pour la première fois, nous avons également pu ainsi tester quantitativement certains modèles biologiques théoriques.

- Très pratiquement, comment se passe le travail et la collaboration entre disciplines?

LK: Dans notre cas, les roboticiens avaient des questions concrètes, d’ordre technique. Les nôtres, sur l’évolution et les réseaux de neurones, étaient plus complexes. Il y a donc au départ une question de langage à trouver et de notions à définir, qui prend un peu de temps. Il y a aussi des divergences dans les types d’analyses. Par exemple, en tant que biologiste, on essaie de comprendre ce que font tous les individus d’une population dans leur ensemble, là où les ingénieurs auront tendance à ne prendre que les meilleurs en considération.

FM: Nous, ingénieurs, sommes dans le monde de la conception et les biologistes dans celui de l’analyse. Il y a donc déjà là une différence de méthode, de vision, de langage. Par exemple, pour toi, Laurent, une différence significative de température, pour un animal, c’est quoi?

LK: Disons, environ deux degrés.

FM: En électronique, les plages de température admissibles sont bien plus larges. On commence à se faire des soucis quand on ne peut plus tenir le doigt sur le composant, soit une différence de 20-30 degrés. Pour nous, si on allume une ampoule et qu’elle chauffe, c’est normal. Pour le biologiste, s’il veut de la lumière, il est normal qu’il ne veuille pas de chaleur. C’est un exemple typique du genre de difficulté ou de malentendu que l’on peut rencontrer.

- Laurent Keller, qu’est-ce qui vous a amené à cette possibilité d’utiliser des robots?

LK: Un de mes étudiants était intéressé aux questions d’intelligence artificielle et j’ai fait des démarches pour le mettre en connexion avec des gens de l’EPFL. C’est là que l’idée est venue d’instaurer des collaborations plus poussées. Ce qui m’a intéressé, c’était la possibilité de faire des machines que l’on peut laisser évoluer et d’observer des comportements sociaux comme l’évolution de la sociabilité, ce que l’on ne peut pas étudier de manière isolée chez de vrais animaux.

- Et vous, Francesco Mondada, comment êtes-vous arrivé à cet intérêt pour les robots comme outil pour les biologistes?

FM: En travaillant sur des projets en robotique bio-inspirée, j’ai eu l’occasion d’entrer en contact avec des biologistes, qui venaient nous amener les éléments de comportement ou de morphologie animales dont nous avions besoin. Un jour, on s’est dit que ce serait bien de pouvoir, en échange, amener des robots dans leurs labos. Ça a fait mouche! J’ai ensuite reçu des demandes de biologistes qui voyaient un intérêt à disposer d’un tel outil pour mener leur recherche. Et nous, ça nous donne un terrain d’expérimentation intéressant.

- De plus en plus d’inventions mélangent technologie et vivant. Comment voyez-vous l’avenir? Biologistes et roboticiens sont-ils amenés à collaborer encore plus activement?

LK: C’est vrai, les collaborations de ce genre sont plus fréquentes. Mais personnellement, je suis quelqu’un qui reste dans le concret et n’aime pas trop spéculer sur ce qui se fera et qui finalement, ne se fait jamais comme on l’avait imaginé.

FM: A l’EPFL, vous avez de bons exemples d’inventions de ce genre, notamment dans le domaine des neuro-prothèses et du biomédical. Mais nous ne sommes pas dans ces domaines. Ce que nous faisons, c’est essentiellement «tromper» le vivant, en copiant certains aspects biologiques significatifs. Contrairement à la robotique bio-inspirée, nous ne nous préoccupons pas d’imiter ou de copier les mécanismes du vivant dans leur complexité. En résumé, nous ne cherchons pas à ce que notre robot-poisson ait l’air d’un vrai poisson, mais qu’il ait juste les attributs nécessaires pour que les poissons pensent qu’il en est un.

Interview et dossier complet dans le Flash