Créer du bien-être virtuel depuis son salon

Simon Gallo au travail chez lui. Crédit : S. Gallo (EPFL)

Simon Gallo au travail chez lui. Crédit : S. Gallo (EPFL)

Le 12 mars 2020, le campus de l’EPFL fermait en raison des restrictions dues au Covid-19. Simon Gallo, postdoctorant au Brain Mind Institute de l’EPFL et cofondateur de la start-up robotique Metaphysiks Engineering, s’est retrouvé confiné chez lui avec un prototype nécessitant une mise à niveau. Des échéances commerciales approchant, Gallo a compris qu’il allait devoir s’adonner aux sciences expérimentales... depuis chez lui !

Créée en 2019, la start-up Metaphysiks Engineering est issue d’une coopération entre le Laboratoire de neurosciences cognitives d’Olaf Blanke et le laboratoire de systèmes robotiques de Hannes Bleuler, appartenant tous deux à l’EPFL. La société développe des dispositifs « tactiles » en silicone permettant de stimuler le sens du toucher à travers des vibrations, mais aussi des changements de pression et de température.

Les premiers dispositifs produits par Metaphysiks Engineering ont été des semelles tactiles à insérer dans les chaussures pour faciliter la relaxation et la méditation. Cette invention se décline en un vaste éventail d’usages allant de l’aide à l’endormissement jusqu’à l’accompagnement de patients en réhabilitation post-AVC. Ces semelles ont connu un réel succès, et des perspectives de commercialisation se sont profilées à l’horizon.

Mais c’est alors que la Suisse a été touchée par le Covid-19 et que le campus de l’EPFL s’est retrouvé confiné. Plus d’accès aux laboratoires, ni aux équipements, ni aux matériaux. Simon Gallo, cofondateur de Metaphysiks Engineering et postdoctorant au laboratoire d’Olaf Blanke, s’est dit qu’il lui fallait s’adapter et, dans le plus pur esprit de l’EPFL, innover... Notre interview.

À quoi sert le dispositif ?

- Intégré dans une plate-forme pour les pieds, le dispositif procure des sensations tactiles virtuelles. La personne s’assoit, pose ses pieds sur la plate-forme, et celle-ci va simuler la sensation des vagues sur la plante de ses pieds. Ce dispositif fait appel à la réalité virtuelle, mais pas à la vue : les sensations passent uniquement par les sens du toucher et de l’audition.

Appelé « STill », le produit que nous avons créé sur la base de cette technologie favorise le bien-être mental. Il place la personne dans un environnement paisible facilitant l’endormissement, la relaxation et la méditation. La personne a réellement la sensation d’être au bord de la mer ou d’un lac. Elle entend le bruit des vagues et perçoit le contact de l’eau sur sa peau. En parallèle, un expert la guide à travers les sensations qu’elle expérimente : tout ce que dit cet expert se produit en même temps sous ses pieds, ce qui rend l’exercice à la fois plus agréable et plus efficace.

Nous mesurons le bien-être de la personne à l’aide d’un questionnaire validé permettant de saisir les aspects subjectifs de ce qu’elle vit — si elle est détendue ou pas, le type de pensée qu’elle a, etc. Nous nous fondons également sur des données physiologiques et neurologiques (schémas respiratoires, EEG, etc.).

Qu’est-ce qui vous a incité à développer ce dispositif ?

- Pendant mon doctorat, j’ai eu l’occasion de tester des procédés de technologie haptique et de constater combien ceux-ci pouvaient aider d’une part les personnes malvoyantes à percevoir leur environnement, et d’autre part les paralysés médullaires à retrouver la sensation de la marche. J’ai alors compris qu’il y avait là un énorme potentiel dans des secteurs encore inexplorés. En dehors de l’usage des vibrations, il n’y a pratiquement aucune déclinaison concrète sur le marché.

Mais c’est quand le Dr Diego Hangartner, spécialiste de la méditation, a rejoint le projet que nous avons évolué vers le domaine du bien-être. À cette époque, je travaillais avec Giulio Rognini et le professeur Blanke, tous deux également cofondateurs de notre start-up, sur l’association du sens du toucher avec d’autres modalités sensorielles. Le but était de créer une expérience inédite : sentir le contact de l’eau sur sa peau. Quand le Dr Hangartner a testé la version de démonstration, il a dit : « Associé à la méditation, ça va donner naissance à un produit extraordinaire. » Il était vraiment enthousiaste.

Du coup, ce qui avait commencé par n’être qu’une petite expérience a pris forme, convainquant de plus en plus de monde — y compris des sociétés du secteur du bien-être. Et plus nous nous orientions vers cette direction, plus nous nous rendions compte que c’était la bonne.

À quels défis avez-vous été confronté lorsque vous travailliez chez vous ?

- Le problème de base, c’est justement que je n’étais pas au laboratoire, mais chez moi. Et chez moi, ce n’est pas grand. Nous avons une chambre à coucher et une pièce à vivre. Quand je déballe tout mon équipement, ça occupe toute la pièce à vivre. Et quand vient l’heure de manger, je suis obligé de tout remballer. On ne peut pas travailler dans un environnement permanent que l’on peut quitter et retrouver à tout moment. Chaque fois, il faut emballer et ranger tout l’équipement pour le réinstaller plus tard, et ça prend beaucoup de temps. Je suis obligé de tout mettre dans des valises pour le ranger ailleurs et nous permettre de continuer à vivre dans cet espace.

Par ailleurs, je n’ai pas accès à l’ensemble des outils dont on dispose au labo. J’ai dû accepter que les tests que j’effectuais chez moi ne soient pas aussi précis que j’aurais voulu, qu’ils ne soient pas sûrs à 100 %. Mais ça a quand même été très utile. Un autre défi a été la difficulté de me faire livrer ici les bons composants — ça a l’air simple, mais en réalité, ça peut s’avérer très compliqué. C’était des petites choses comme ça.

Que pensez-vous avoir accompli en travaillant depuis chez vous ?

Selon moi, ça a été une période très productive. Le fait de ne pas pouvoir me rendre en personne à des réunions m’a libéré un bon nombre d’heures pendant lesquelles j’ai pu me concentrer sur une seule chose. C’était vivifiant. Ça a permis à notre start-up de donner un vrai coup d’accélérateur à notre développement produit, ce qui n’avait pas été possible auparavant parce que nous menions de nombreuses activités de front, sans toujours bien percevoir laquelle était prioritaire.

Quels conseils donneriez-vous à d’autres scientifiques travaillant chez eux ?

Il faut prendre conscience du fait qu’on n’est pas tout à fait chez soi puisqu’on est au travail. Vous vous levez, vous vous habillez. Vous ne traînez pas en pyjama. Votre salon est devenu votre lieu de travail. Enfin, il est important d’avoir toujours le frigo plein.

Merci, Simon, pour le temps que vous nous avez accordé !