« Connaître l'échec est une chance énorme »

© 2020 EPFL

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Philippe Renaud a reçu le Lifetime Achievement Award 2020 de l’American Electrophoresis Society pour ses contributions scientifiques exceptionnelles dans les domaines de la cytométrie diélectrique et la nanofluidique. L’occasion de revenir sur son parcours entre enseignement et innovations.

« Les étudiants se pressent pour travailler avec lui », glisse une de ses doctorantes. Au sein de son laboratoire, comme chez ses voisins de couloirs, les éloges à son propos fusent. Pour ses qualités humaines mais aussi pour son excellence scientifique qui vient de lui valoir le Lifetime Achievement Award 2020 de l’American Electrophoresis Society. Lui, c’est Philippe Renaud, professeur à la faculté des Sciences et techniques de l’ingénieur et directeur du Laboratoire des microsystèmes. Ce fils de viticulteur neuchâtelois a laissé ses terres pour embrasser une carrière scientifique en physique puis en microtechnique. Co-fondateur de la conférence NanoBioTech-Montreux, à 63 ans, il excelle dans les domaines des BioMEMs, de la microfluidique ou encore des capteurs.

Guider les étudiants

Très attaché à l’enseignement, Philippe Renaud met du cœur à la préparation de ses leçons et à la formation de ses doctorants. « À la fin de notre carrière, personne ne se rappelle des articles que l’on a écrits. Par contre, on n’oublie jamais un enseignant qui nous a marqué », résume-t-il. Durant ses cours, il insiste sur les concepts et la réflexion à mener plutôt que sur l’appris par cœur. « Il veut s’assurer que l’on comprenne ce qu’il se cache derrière la machine. Quand il ne répond pas directement aux questions, il y a souvent une deuxième grille de lecture. À nous de trouver la solution », déclare Joan Teixidor, doctorant au sein de son laboratoire.

Les doctorants, Philippe Renaud aime les laisser se débrouiller tout en leur donnant la direction à prendre. « A la moitié de leur thèse, ils se retrouvent souvent devant un mur. Lorsqu’ils me disent que rien ne fonctionne, c’est en fait là que tout commence. Le professeur joue alors un rôle déterminant, afin d’aiguiller les étudiants lors des bifurcations. Sur une route droite, on n’a pas besoin d’aide », rappelle le professeur. Pour lui, « connaître l’échec est une chance énorme », puisqu’en fin de compte il y a toujours quelque chose à apprendre. Le mur, il s’y est lui-même confronté au cours de sa thèse en physique : « Je ne croyais plus en mon objet de recherche. J’ai dû redonner du sens à mon travail ».

« Sortir du laboratoire »

Le scientifique ne se limite pas à la recherche académique mais désire également former ses doctorants à la vraie vie. Lors du recrutement déjà, il les sélectionne pour leurs qualités et encourage leur créativité. « Je choisis toujours des étudiants qui possèdent de l’autonomie, de la maturité et surtout un esprit d’entreprenariat. Les doctorants finissent sur le marché du travail. Ils doivent avoir l’opportunité d’opérer une transition entre le monde de la recherche et celui de l’emploi », explique Philippe Renaud. « Il a le don de nous mettre en valeur. Il nous fait prendre conscience de nos points forts pour renforcer notre confiance », explique Joan Teixidor. Toujours enthousiaste à ce que ses doctorants se lancent dans la création de start-up, Philippe Renaud souligne que cela ne doit pas impliquer de compromis sur la qualité de la recherche ou sur l’ambition scientifique. « La start-up nous pousse à nous demander à quoi sert ce que nous composons et à trouver des applications concrètes ». Joan Teixidor confirme : « Nos recherches doivent avoir le potentiel de sortir du laboratoire ». 

Un professeur innovant

Philippe Renaud a su créer des collaborations originales avec des scientifiques issus de la biologie et de la médecine afin de compléter ses compétences en physique et microtechnique. Ainsi, il a mis l’interdisciplinarité au cœur de ses recherches. « Il s’est montré visionnaire et n’est pas resté dans sa tour d’ivoire. Cela lui a permis d’être innovant », affirme le professeur Matin Gijs, collègue de Philippe Renaud. Son Laboratoire a par exemple mis au point le SU8, une résine photosensible, destiné au domaine de l’horlogerie. Aujourd’hui, son utilisation a été détournée et est employé dans tous les laboratoires de microfluidique. Dans les années 2000, il a également été le premier à analyser des cellules à l’aide de signaux électriques. Une technologie reprise quelques années plus tard par d’autres scientifiques. « Nous avons su proposer des innovations au bon moment », reconnaît Philippe Renaud. 

Conseiller les start-ups

Le chercheur n’envisage pas d’autre chemin que celui de la science. A la retraite, il se voit pouponner les jeunes pousses. « Je suis toujours resté en retrait à cause du conflit d’intérêts potentiel », explique-t-il. Une dizaine de start-ups connaissent le succès, dont la valaisanne Mimotec, qui fabrique des pièces d’horlogerie, ou Aleva Neurotherapeutics qui a mis au point une électrode pour la stimulation profonde du cerveau. Une diversité que Philippe Renaud attribue à sa dispersion. D’autres l’accordent à sa créativité sans limites.