Comment lier la recherche aux besoins des patients?

Dr Xavier Jordan. © CRR

Dr Xavier Jordan. © CRR

Dossier paralysie (2/2). Le docteur Xavier Jordan est paraplégiologue depuis 15 ans. Une spécialisation qu’il a choisie avec « conviction et ferveur ». En charge de l’unité de para- et tétraplégie à la Clinique romande de réadaptation de Sion depuis 2013, il collabore avec les deux chaires de l’EPFL installées en Valais.

Que se passe-t-il quand on devient paraplégique?

Lorsqu’une personne subit une lésion médullaire après une maladie ou un accident de ski, de plongée ou de voiture, elle passe par plusieurs phases. D’abord, elle rejette le handicap tout en commençant la réadaptation, puis elle doit faire le deuil, constater ce qui se passe aujourd’hui et esquisser demain. En tant que paraplégiologue, je suis à ses côtés dès les soins intensifs, et toute sa vie durant.

Que pensez-vous des avancées scientifiques?

C’est fantastique et incroyable lorsque je vois que l’on peut combiner à la fois la stimulation électrique, chimique, les cellules souches et la robotique, c’est extraordinaire. Même si je sais qu’il faudra encore de nombreuses années avant que cela puisse être disponible pour tous les paraplégiques. Dans les années 80, avant l’arrivée de l’opération du rachis – la colonne vertébrale – on ne pouvait pas dire au patient qu’il avait une chance de guérir. Aujourd’hui oui, donc il serait malvenu pour nous médecins de ne pas y croire. Les chercheurs ont entrouvert une porte, ils offrent une perspective nouvelle. On va pouvoir réparer les lésions neurologiques, aller à la source et pas seulement compenser comme on le fait maintenant. Nous devons rester informés et transmettre ces nouvelles connaissances aux patients.

Les scientifiques développent-ils des technologies adaptées?

Le chercheur a une vision extrêmement claire de ce qu’il veut développer. Le problème est que le patient ne va pas voir le probable, mais le possible. Aujourd’hui, cette idée que la technologie va améliorer la vie du patient complique notre travail. Certains arriveront à se dire : « Il ne faut pas rêver », mais d’autres n’arriveront pas à prendre la distance nécessaire. Il n’existe pas de normalité standard. Un patient qui vient de perdre l’usage de ses jambes ou celui qui est en chaise depuis 25 ans n’auront pas les mêmes envies. Ce dernier aura sans doute intégré la chaise comme faisant partie de lui, de sa normalité. Il n’est pas simple de comprendre la vision qu’ils ont du monde et de leur place dans le monde. Ce sont des éléments que les paraplégiologues connaissent et peuvent partager avec les chercheurs.

Comment aimeriez-vous pouvoir interagir avec les chercheurs?

Nous ne devons pas intervenir dans la recherche fondamentale, mais j’aimerais que nous soyons impliqués, nous les cliniciens, dès qu’une technologie pointe le bout de son nez. Je me sens parfois spectateur, on me demande de fournir des patients sans réflexion préalable, la translation ne fonctionne pas toujours aussi bien que je le souhaiterais. On parle de la marche, mais qui dit que tous les paraplégiques ont une envie pressante de remarcher? Il y a au moins une dizaine de déficits qui les font souffrir : la vessie, les intestins, les escarres, les articulations… Il m’arrive parfois de demander aux patients ce qu’ils aimeraient améliorer tout de suite si j’avais une baguette magique. La marche arrive rarement en premier. En revanche, si la recherche sur la locomotion débouche sur l’amélioration des autres fonctions organiques, nous pourrons augmenter l’autonomie et la qualité de vie des patients. Cela me semble primordial.

A quoi doit-on faire attention?

Il faudrait intégrer à ces recherches de pointe des réflexions éthiques. Ces travaux scientifiques devraient être accompagnés par des professionnels. Mille questions se posent et on ne doit pas les éluder. Quel est l’équilibre entre risques et bénéfices ? Quelle sera l’autonomie de décision du patient? Comment aura-t-il un avis éclairé sur la technologie? Quelle est la priorité du chercheur et celle du paraplégique? Et les effets collatéraux? Prenons l’exemple d’une électrode qui aurait été mal placée et qui, par le plus grand des hasards, améliorerait d’un coup la vie du patient, que devrait-on faire? Enlever l’électrode pour suivre le protocole ou la laisser au patient? Et, finalement, qui paie? Un exosquelette, durant le séjour à la clinique de réadaptation, cela profite à quelques patients. Mais ensuite, qui peut financer un appareillage à 70'000 francs?