Comment les humanités digitales peuvent aider lors d'une pandémie

Robert West, professeur de l'EPFL, pense qu'il faudra plus que des déclarations d'experts pour communiquer efficacement sur COVID-19 © iStock

Robert West, professeur de l'EPFL, pense qu'il faudra plus que des déclarations d'experts pour communiquer efficacement sur COVID-19 © iStock

Le début de la vague du COVID-19 marque une course contre la montre pour mettre en place des mesures de protection des populations les plus vulnérables. L’intérêt public pour l’information n’a jamais été aussi urgent, et comme l’explique le professeur de l’EPFL Robert West, les humanités digitales ont un rôle-clé à jouer.

Robert West (c. Alain Herzog)A l’ère de la viralité, il semble que la seule chose qui voyage plus vite que le nouveau coronavirus est l’information. Avec la propagation exponentielle du COVID-19 ces dernières semaines, les histoires et informations sur le virus sont partout: sur les réseaux sociaux, dans les médias et aussi dans les bases de données de prépublications scientifiques, qui se remplissent très rapidement.

Les réactions des Suisses face aux nouvelles du coronavirus et des mesures de confinement ont varié entre la peur et les achats panique, ainsi que les inquiétudes quant aux impacts économiques de telles mesures. Pendant ce temps-là, d’autres personnes semblent se demander : « où est le problème ? C’est juste la grippe ! »

Avec le déluge d’informations qui évolue chaque jour, voir même chaque heure, ce n’est pas une surprise si l’avis du public sur la pandémie varie autant. En effet Robert West, qui dirige le Laboratoire de sciences des données (DLAB) de la Faculté informatique et communications, pense qu’il faudra plus que les déclarations des scientifiques pour communiquer l’état de la situation du COVID-19, et pour encourager les bons comportements pour baisser la courbe.

« Il y a toujours un aspect humain lié aux faits ; ce n’est pas juste à propos des faits en eux-mêmes, mais plutôt de comment les personnes les comprennent », dit Robert West, qui est aussi un membre du dhCenter UNIL-EPFL pour les humanités digitales.

« Quand on passe des papiers scientifiques aux réseaux sociaux, les personnes ne viennent pas des mêmes milieux et nous devons comprendre comment ils lisent ce genre d’informations. C’est quelque chose auquel beaucoup de scientifiques ne prêtent pas attention, mais c’est là où la recherche des humanités digitales peut vraiment jouer un rôle. »

Choisir un messager

Robert West décrit un projet en cours, financé par le programme le programme CROSS (« Collaborative Research on Science and Society »), qui souligne l’importance de comprendre la manière dont les gens perçoivent l’information, surtout quand il s’agit de sujets à controverse ou à risque. Lui et ses collègues s’efforcent de comprendre comment les opinions des gens sur quatre sujets brûlants (le réchauffement climatique, l’avortement, la vaccination et l’immigration) ont été influencées par des déclarations de personnes célèbres.

Les chercheurs ont aléatoirement relié certains avis avec certaines célébrités pour tester si leur hypothèse selon laquelle les discours rattachés à certains porte-parole connus et respectés ont plus d’influence que ceux de sources inconnues ou moins aimées. Les sujets d’étude ont aussi lu des déclarations venant d’un “expert” qui, à leur insu, avait été créé par les chercheurs.

« Nous nous attendions à ce que les experts aient un impact plus important sur le changement d’avis que les célébrités peu aimées, mais nos résultats préliminaires nous ont au contraire montré que les experts ont le plus petit impact et que leurs discours peuvent parfois même avoir l’effet inverse. Je pense que cet exemple montre comment les humanités digitales peuvent aider cette crise, parce qu’elles permettent de modeler les stratégies utilisées pour éduquer le public. »

Trois conseils d’un data scientist

Le professeur Robert West donne quelques conseils pour parcourir les informations concernant le COVID-19 sans être victime d’intox, qu’il s’agisse d’une fake new ou d’une mauvaise interprétation.

Vérifier les sources de l’interprétation de l’information…et de l’information elle-même. « Je pense que c’est un conseil évident, mais même moi je dois me le rappeler, parce qu’en tant qu’humain nous avons une faim innée pour les nouvelles sensationnelles », dit Robert West. En plus de chercher des sources fiables (les universités et la presse renommée avant les réseaux sociaux, par exemple), il conseille de toujours lire attentivement les légendes graphiques et infographiques. Puisque différents pays ont différentes approches pour la collection de données épidémiologiques et les tests sur le COVID-19, leurs nombres ne sont pas toujours comparables.

Lire les labels des axes. Vérifier si les graphs sont linéaires ou logarithmiques, puisque cela fait une grande différence dans la compréhension d’une croissance exponentielle.

Garder de la perspective. Garder en tête que les données sur la pandémie COVID-19 sont en évolution constante. « Ce que l’on voit en ligne reflète les événements qui se passent en temps réel, et ce qu’on lit aujourd’hui peut changer demain », conclut Robert West.