Comment le cerveau interprète le toucher

Des chercheurs de l’EPFL ont identifié des neurones qui aident à activer le traitement sensoriel dans les cellules nerveuses voisines. Cette découverte pourrait expliquer comment le cerveau intègre les signaux nécessaires à la perception tactile et à l’apprentissage.

Grâce à notre capacité à percevoir des sensations tactiles, notre cerveau reçoit une mine d’informations sur notre environnement, dont la forme, la texture et la température des objets. En étudiant des souris, des neuroscientifiques de l’EPFL ont identifié un type de neurone qui participe au déclenchement de l’activité dans l’aire cérébrale impliquée dans des fonctions comme la perception sensorielle et le contrôle moteur.

Cette découverte pourrait permettre de mieux comprendre non seulement comment le cerveau perçoit des stimuli tactiles, mais aussi comment il relie les informations – un processus essentiel de l’apprentissage.

De précédentes études ont suggéré qu’un type de neurone inhibiteur appelé interneurone du peptide intestinal vasoactif (VIP) pourrait jouer un rôle dans des processus comme la formation de nouvelles connexions entre des cellules nerveuses et l’intégration de signaux sensoriels et moteurs. « La nouvelle étude est la première à mesurer le potentiel de membrane – la caractéristique électrique la plus fondamentale – de ces cellules cérébrales dans un cerveau vivant », affirme le professeur Carl Petersen de la Faculté des sciences de la vie de l’EPFL.

Vibrisses et activation des neurones

Les souris utilisent leurs vibrisses, de longs poils au niveau du museau, pour explorer leur environnement, de la même façon que nous tâtonnons dans l’obscurité avec nos mains. Dans une série d’expériences, Carl Petersen et son équipe ont observé l’activité des neurones du cortex à tonneaux – une aire cérébrale somatosensorielle qui répond aux stimulations des vibrisses – de souris qui faisaient bouger leurs vibrisses selon des mouvements d’avant en arrière. Dans une autre campagne d’expériences, les chercheurs ont suivi l’activité des neurones du cortex à tonneaux de souris dont les vibrisses étaient éclairées.

En l’absence du principal neurotransmetteur excitateur, le glutamate, les chercheurs ont découvert que les mouvements naturels des vibrisses et la stimulation vibrissale déclenchaient l’activité des neurones VIP, mais pas des autres types de neurones du cortex à tonneaux. L’activation des neurones VIP semblait dépendre d’une augmentation des taux du neurotransmetteur acétylcholine.

Pour vérifier que l’acétylcholine active les neurones VIP, Carl Petersen et ses collègues ont utilisé des souris modifiées de sorte à porter des protéines photosensibles dans des cellules cérébrales qui utilisent principalement l’acétylcholine pour envoyer leurs messages. Puis, à l’aide d’une lumière, les chercheurs ont stimulé ces neurones pour libérer l’acétylcholine tout en observant l’activité des autres cellules nerveuses du cortex à tonneaux.

La libération d’acétylcholine a déclenché un signal de départ pour le déclenchement de l’activité des neurones VIP et un signal d’arrêt dans un type de neurone appelé neurones exprimant la somatostatine (SST). Généralement, les neurones SST inhibent les parties des cellules nerveuses excitatrices situées dans la couche externe du cortex somatosensoriel.

D’autres expériences ont suggéré que l’acétylcholine libérée pendant le « whisking » excite les neurones VIP, ce qui réduit l’activité des neurones SST. La désactivation des signaux inhibiteurs des neurones SST participe au déclenchement de l’activité des cellules nerveuses corticales excitatrices, ce qui stimule le traitement sensoriel via un processus de désinhibition. L’étude a été publiée dans la revue Neuron.

Courbe d’apprentissage

La plupart des connexions de longue portée entre les différentes aires cérébrales semblent se produire dans la couche la plus externe du cortex. Selon Carl Petersen, l’activation des neurones excitateurs via la désinhibition de cette couche externe favoriserait l’intégration de différents signaux sensoriels, aidant l’animal à les déchiffrer. Carl Petersen ajoute que cela pourrait également entraîner la formation de nouvelles connexions entre des neurones, un processus qui sous-tend l’apprentissage.

Bien que l’étude ait été menée chez les souris, Carl Petersen fait remarquer qu’un processus similaire serait possible dans le cerveau humain. « Lorsque les scientifiques ont observé le cerveau humain, ils ont découvert les mêmes types de cellules et les mêmes mécanismes », confie-t-il.

Par exemple, ces découvertes pourraient permettre d’expliquer certains symptômes de la schizophrénie, un trouble caractérisé par des délires et des hallucinations. D’après Carl Petersen, certains schizophrènes ont des mutations dans les récepteurs qui répondent à l’acétylcholine, ce qui pourrait expliquer pourquoi les individus atteints de ce trouble ont des difficultés à trier et intégrer des informations sensorielles.

L’équipe envisage d’étudier si les signaux transmis par l’acétylcholine pourraient améliorer l’apprentissage chez les souris. « Nous pouvons augmenter les taux d’acétylcholine et voir si nous pouvons améliorer l’apprentissage, ou désactiver les signaux et voir si cela empêche l’apprentissage », poursuit Carl Petersen.

Les chercheurs tentent également de comprendre comment l’acétylcholine atteint ses récepteurs sur la surface des neurones VIP, et ce qui active les neurones produisant l’acétylcholine et libère le neurotransmetteur. « Aujourd’hui, le mystère reste entier », termine Carl Petersen.

Références

Célia Gasselin, Benoît Hohl, Arthur Vernet, Sylvain Crochet, Carl C. H. Petersen.

Cell-type-specific nicotinic input disinhibits mouse barrel cortex during active sensing.

Neuron, 2021, ISSN 0896-6273, DOI: 10.1016/j.neuron.2020.12.018.