Comment la bactérie de la tuberculose se joue du système immunitaire

© 2015 EPFL

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Des chercheurs de l’EPFL ont découvert comment la tuberculose parvenait à manipuler les cellules immunitaires d’un patient pour affaiblir ses défenses.

La tuberculose est provoquée par la bactérie Mycobacterium tuberculosis, et touche plus de 12 millions d’individus dans le monde. Lorsque le germe infecte un patient, la réponse de son système immunitaire est fondamentale pour la progression de la maladie. Soit il aide le corps à combattre la bactérie, soit il exacerbe l’infection si certaines molécules entrent en action. Or, des scientifiques de l’EPFL ont désormais démontré que le germe de la tuberculose retournait certains mécanismes du système immunitaire à son propre avantage. Leur étude est publiée dans Cell Host & Microbe.

Lutter contre la tuberculose: inflammasomes, interleukines, interférons

Quand la M. tuberculosis infecte une personne, elle attaque les cellules immunitaires de première intervention des poumons, les macrophages, dont la réponse implique un complexe de quatre protéines différentes appelé « inflammasomes ». Le rôle principal de celui-ci est de préparer certaines protéines immunitaires au cœur des macrophages, que l’on appelle « interleukines ». Lorsque la M. tuberculosis touche les poumons, les interleukines à l’intérieur des macrophages se retrouvent en toute première ligne.

Non contrôlée, cette défense peut toutefois causer de gros dégâts au patient. Afin de l’éviter, les macrophages libèrent un autre groupe de protéines, les « interférons de type I ». Or, si celles-ci sont cruciales pour défendre le corps contre les virus, elles semblent paradoxalement aider la bactérie de la tuberculose à aggraver la maladie. Et quoique l’inflammation par interleukines de la réponse immunitaire soit assez bien documentée, la partie qui implique les interférons restait jusqu’ici méconnue.

Les tours de l’ADN

Le laboratoire d’Andrea Ablasser de l’EPFL, en collaboration avec celui de Stewart Cole, a désormais découvert comment la M. tuberculosis menait subtilement l’assaut contre nos défenses immunitaires. La clé est une molécule appelée synthase GMP-AMP cyclique (cGAS), qui se situe dans les macrophages pulmonaires et fait partie d’un groupe moléculaire capteur d’ADN; en d’autres termes, la cGAS patrouille à l’intérieur des macrophages, et déclenche leur réponse immunitaire lorsqu’elle détecte des morceaux non-identifiés d’ADN, comme ceux libérés par la M. tuberculosis.

La bactérie de la tuberculose utilise en effet un système de sécrétion spécialisé pour libérer sa gamme de protéines toxiques dans les macrophages, mais elle dégage en outre d’étranges petites parts d’ADN, qui sont alors détectées par les systèmes de capteurs à l’intérieur des macrophages - les inflammasomes et la cGAS. En réponse, les macrophages libèrent deux types de protéines: les interleukines-1, qui combattent la bactérie, et les interférons de type I, qui finissent par favoriser la tuberculose.

Le groupe d’Ablasser a utilisé des macrophages humains et animaux pour étudier ce qui se passait en cas d’infection par la M. tuberculosis. Il a ainsi pu observer que les bactéries transféraient des bouts d’ADN dans les macrophages, incitant la cGAS à signaler cette production aux interférons, qui réduisaient alors la réponse immunitaire. Autrement dit, la bactérie manipule les macrophages pour qu’ils baissent leur garde.

Les scientifiques ont aussi montré qu’il était possible de piéger la M. tuberculosis de façon à ce qu’elle ne puisse plus activer la production d’interférons via la cGAS, tout en conservant la production d’interleukines-1, donc la réponse immunitaire du corps.

Cette étude est la première à identifier la cGAS comme capteur de l’ADN de la M. tuberculosis, et à suggérer que cette méthode de manipulation moléculaire s’applique à d’autres bactéries qui utilisent des systèmes de sécrétion spécifiques pour infecter les cellules corporelles. « Notre travail démontre que la tuberculose est une maladie bien plus sophistiquée que ce que l’on pensait précédemment, » explique Andrea Ablasser, qui s’est désormais attelé, entre autres tâches, à identifier les morceaux d’ADN employés par la M. tuberculosis pour manipuler les macrophages.

Cette étude résulte d’une collaboration entre l’Institut de santé globale de l’EPFL et les Universités de Bonn et Cologne. Elle a été soutenue le FNS.

Source

Wassermann R, Gulen MF, Sala C, Garcia Perin S, Lou Y, Rybniker J, Schmid-Burgk JL, Schmidt T, Hornung V, Cole ST, Ablasser A. The ESX-1 secretion system of Mycobacterium tuberculosis differentially regulates cGAS- and inflammasome-dependent intracellular immune responses. Cell Host & Microbe 17, 1–12, 10 June 2015. DOI: http://dx.doi.org/10.1016/j.chom.2015.05.003