Cap sur les glaces éternelles à bord de l'Etoile polaire!

© Alfred-Wegener-Institut / Jan Rohde (CC-BY 4.0)

© Alfred-Wegener-Institut / Jan Rohde (CC-BY 4.0)

Partie en expédition arctique loin de la civilisation, Julia Schmale vit à bord d’un brise-glace, dans l’obscurité constante et le froid glacial. Nous avons parlé avec la spécialiste de l’atmosphère peu avant son départ.
Julia Schmale était cheffe de groupe au Laboratoire de chimie atmosphérique de l’Institut Paul Scherrer jusqu’en novembre 2019. Depuis décembre, elle est professeure assistante pour les recherches en environnements extrêmes à l’EPFL. Elle dirige actuellement le projet de recherche pour la compréhension des aérosols dans l’Arctique qui fait partie de l’expédition internationale MOSAiC. Pour cette expédition, le brise-glace Polarstern dérive depuis septembre 2019 et jusqu’en octobre 2020 avec la banquise arctique. A bord depuis février 2020, Julia Schmale est responsable d’une équipe de 15 spécialistes de l’atmosphère durant la troisième étape de l’expédition.

«On dit que lorsque la fièvre des pôles s’empare de vous, vous n’en guérissez pas. Moi, elle m’a prise il y a onze ans, au cours d’une mission aérienne au Groenland, alors que je faisais mon doctorat. Les paysages de l’Antarctique et de l’Extrême Arctique sont très différents de ceux auxquels nous avons l’habitude. L’air au-dessus des glaces n’a pour ainsi dire pas d’odeur et il règne un silence complet quand il n’y a pas de vent. Et on prend conscience de la véritable force de la nature quand la tempête fait rage ou lorsque la banquise bouge.

J’ai effectué d’autres expéditions après le Groenland, la dernière jusqu’au pôle Nord à bord du brise-glace suédois Oden pendant l’été 2018. C’était la préparation idéale pour ma mission sur le brise-glace Polarstern dans le cadre de l’expédition MOSAiC. Parce que, comme lui, l’Oden avait été arrimé à un morceau de la banquise, pour ensuite dériver avec ce dernier.

Les missions sur des navires de recherche sont très motivantes: vous poursuivez un objectif commun avec des gens qui partagent vos préoccupations et vous faites de nombreuses connaissances. C’est comme un grand buffet où on peut se servir des histoires. Une combinaison formidable d’échanges sociaux et de travail. Vous partagez votre cabine avec trois personnes au maximum. Chacune a son rythme, les unes travaillent de nuit, d’autres sortent en hélicoptère, ce qui dépend des conditions météorologiques. Mes journées seront cependant relativement structurées, mon équipe de recherche ayant apporté son propre container laboratoire à bord du Polarstern.

Au cours de cette expédition, nous étudierons quelles particules fines au-dessus de la banquise conduisent à la formation de nuages. Les nuages jouent un rôle important pour le climat, ils influencent la quantité de rayonnement solaire qui atteint la surface de la Terre et la quantité de chaleur réfléchie. Nous souhaitons découvrir quelle proportion de particules est d’origine humaine et quelle part est naturelle. Nous cherchons aussi à savoir quelles sources d’aérosols sont affectées par les changements rapides dans l’Arctique. Pour réaliser toutes ces mesures, nous avons établi une liste de tâches avec 208 points à contrôler chaque jour.

En plus de la collecte des données, nous commencerons leur analyse à bord. Il est toutefois aussi important de sortir du laboratoire. On développe une compréhension des processus différente lorsqu’on peut voir soi-même comment les cristaux de glace se forment et se modifient à l’extérieur. En plus de notre travail, on s’entraide bien sûr à bord, souvent pour de simples tâches mécaniques, mais parfois ardues, tel le prélèvement d’une carotte de forage, le lancer d’un ballon pour des mesures ou le contrôle des appareils.

Rencontre avec des ours blancs

Préparer une expédition comme celle-ci est très complexe. Chacun doit se soumettre à un contrôle médical; le coeur, les poumons et les dents doivent être sains. Tous les participants doivent également suivre des cours sur le comportement en mer: comment survivre dans l’eau, lancer un radeau de sauvetage ou éteindre un incendie. Et dans le cours consacré aux ours blancs, on apprend comment se comporter à l’approche d’un ours polaire et quand tirer un coup de semonce. Nous en avons d’ailleurs rencontré l’été dernier. Le premier ours s’est approché du bateau par l’arrière alors que nous arrivions par l’avant à une distance de 200 mètres. Nous avons donc dû avancer dans sa direction pour monter sur le navire. Je n’étais pas très rassurée.

Le plus grand défi d’une expédition telle que MOSAiC vient toutefois de la logistique. Il faut définir précisément au préalable de quels instruments et pièces détachées on aura besoin. Nous avons répété toutes les manipulations dans le container durant un cours d’été pour nous assurer que tout fonctionne. La charge de travail est très importante. Tout est si passionnant que vous risquez de vous épuiser dans les deux premières semaines. Il faut donc faire preuve d’une grande discipline et s’accorder des pauses. Comme pour un marathon, il faut tenir jusqu’au bout. En plus d’une salle de fitness, le Polarstern a aussi une piscine que je vais certainement utiliser.

J’ai développé une certaine routine pour faire mes bagages et je sais précisément ce dont j’aurai besoin sur le bateau. Le froid ne m’inquiète pas trop, mais l’obscurité représente un facteur d’incertitude. Jusqu’à présent, j’ai surtout voyagé en été et l’obscurité, presque permanente, sera une nouvelle expérience. Je ne sais pas encore comment je vais la gérer.»

Références

Images Copyright et courtoisie Alfred-Wegener-Institut Mosaic 2020