Boire de l'électronique pour suivre l'évolution d'un cancer

© Jamani Caillet /2018 EPFL

© Jamani Caillet /2018 EPFL

Suivre le développement d’une maladie grâce à l’ingestion de millions de minuscules capteurs électroniques déguisés en bactéries. Tel est le scénario un peu fou sur lequel planchent des chercheurs de l’EPFL.

Imaginons un instant que l’on puisse connaître en temps réel le comportement de nos cellules malades, simplement en buvant un verre d’eau rempli de millions de biocapteurs électroniques. Une fois ingérés, les capteurs miniatures pourraient s’arrimer à des tissus dans une région spécifique du corps, puis envoyer un diagnostic en continu, par télémétrie.

Tel est le scenario ambitieux sur lequel planchent Sandro Carrara, scientifique au sein du Laboratoire des systèmes intégrés (IC/STI) de l’EPFL, et Pantelis Georgiou, de L’Imperial College de Londres. Un concept similaire avait déjà été évoqué en 2013 par des chercheurs de Berkeley, qui comptaient déployer des capteurs électroniques CMOS dans le cerveau pour surveiller l’activité cérébrale.

A l’EPFL, les scientifiques ont une approche plus générale. Ils proposent la création théorique d’un cube électronique CMOS d'environ 10 µm de côté, grâce aux progrès majeurs dans les procédés de nano-fabrication de circuits intégrés. Ils ont présenté leurs résultats lors de la conférence IEEE BioCAS. La faisabilité théorique du concept est également discutée dans un preprint publié dans ArXiv.

Les chercheurs espèrent révolutionner les méthodes de diagnostic et améliorer la compréhension de certaines maladies comme le cancer. «Pour l’instant, le médicament est administré, puis on attend de constater ou non la disparition des cellules malades», explique Sandro Carrara. «Connaître la réaction en continu des cellules cancéreuses face à un traitement constituerait un outil de compréhension inédit.»

Selon le scenario envisagé, les capteurs miniatures prendront la forme d’un cube, doté en surface de trois électrodes complémentaires. Après avoir été avalés, les cubes traverseront la paroi intestinale par le phénomène naturel d’internalisation des cellules. Ce passage ne sera possible que si l’organisme les confond avec des bactéries ou des globules rouges. Un recouvrement spécial sera donc envisagé, et la taille des capteurs réduite, pour se rapprocher des dix microns. Une fois dans le flux sanguin, les capteurs poursuivront naturellement leur route jusqu’à la zone recherchée. Ils s’attacheront aux cibles malades grâce à leurs ligands spécifiques, des anticorps, par exemple. Fixés sur la tumeur, ils y resteront et suivront son évolution.

En véritables espions, les capteurs devraient livrer des informations sur l’état du métabolisme de la cellule, ou encore sur la concentration des médicaments présents. «Chaque protéine ou particule de médicament en contact avec nos électrodes pourrait être détectée, car chacune change le courant de manière particulière», illustre le chercheur. L’information, elle, serait récoltée via un système de transmission d’énergie sans fil. «Nous appliquerions un champ électromagnétique ou des ultrasons depuis l’extérieur pour charger les capteurs et collecter les données. Il n’y aura aucune batterie à bord», ajoute Sandro Carrara.

Pour leur projet, les chercheurs s’appuient sur des exemples tangibles. Des circuits CMOS pour capteurs de glucose d’une taille d’environ 10 microns et un capteur simple de glucose avec diamètre de 2,5 microns ont déjà été démontrés dans la littérature. Un outil de diagnostic télémétrique de 10 mm, recouvert d’une résine epoxy biocompatible a par ailleurs déjà été testé sur des souris, en 2016. Les défis liés à cette technologie restent toutefois très nombreux. Il faudra notamment descendre au-dessous de la barre des 10x10x10 µm, afin que le biocapteur se rapproche de la taille d’un globule rouge. La validation de la technologie et le système de recharge constituent eux aussi des enjeux majeurs.

Quid des conséquences sur le corps humain? Il est encore tôt pour le dire. Selon les chercheurs, les dispositifs devraient être facilement évacués. Lors de l’ablation de la masse tumorale, ils seront éliminés avec elle. En cas d’absence de cellules malades, ils finiront dans l’urine, ou les selles.

Les recherches liées au projet réunissent une équipe de chercheurs issus de l’Université Catholique de Leuven, l’Université de Glasgow, L'École polytechnique de Turin, de l’Imperial College de Londres et de l’EPFL.