Aux origines du frottement
Au delà des modèles empiriques: Pour Jean-François Molinari, le frottement peut être compris à un niveau beaucoup plus fondamental.
« Là où il y a contact, il y a forcément frottement et usure », affirme Jean-Francois Molinari, jeune professeur d’origine française qui a rejoint les enseignants de la Section de Génie civil de l’EPFL en 2007. Le frottement est une expression des forces en jeu lorsque des aspérités et particules atomiques se frottent les unes contre les autres. Tout ce qui touche quelque chose subit cette force: les routes, les joints des structures, les rails de chemins de fer, les vagues qui se brisent sur la plage, l’étincelle qui jaillit lorsque vous frottez deux bouts de bois ensemble, l’inexorable décapage du sol par un glacier, la dévastation produite par un tremblement de terre – tous ces phénomènes sont l’oeuvre du frottement. Il hausse les épaules et ajoute que « c’est peut-être parce que le frottement est partout que nous négligeons parfois d’y porter notre attention. Mais c’est un élément très, très important. On dépense probablement 5% du PIB pour remplacer des composants dégradés par le frottement et l’usure ».
Bien qu’il affecte toute personne et toute chose sur Terre (et au-delà), le frottement n’est pas encore très bien compris. « C’est l’un des grands mystères non élucidés de la physique », insiste le professeur. Mais pourquoi le phénomène du frottement est-il si complexe? D’abord, parce qu’il opère à différentes échelles spatio-temporelles. Pour le modéliser, il faut savoir exactement quelle partie d’une surface en touche une autre. Prenons l’exemple d’un livre posé sur un bureau: savez-vous que moins d’1% de la surface du livre est vraiment en contact avec le bureau? La raison en est que les deux surfaces sont très rugueuses. Les modèles fractaux offrent un moyen parfait de décrire les surfaces rugueuses jusqu’au détail de l’atome. Mais si élégante soit-elle, ce n’est pourtant pas une solution pratique à cause du coût de calcul numérique qui serait prohibitif.
Jean-François Molinari estime que même si l’on pouvait parfaitement modéliser ces surfaces, il y aurait toujours un problème car la force de frottement même n’est pas qu’une simple question de calcul. En effet, il y a de nombreux types différents de mécanismes impliqués dans le frottement. Il l’admet volontiers, « il s’agit de physique extrêmement complexe. Les divers mécanismes dissipatifs produisent de nombreux phénomènes physiques différents ». La façon traditionnelle d’appréhender le frottement est de faire des expériences et de mesurer le « coefficient de frottement » qui en découle. Bien que cette mesure permette de résoudre des problèmes d’ingénieur, elle ne nous apprend pas grand-chose sur les origines physiques du phénomène. « M ais il y a de l’espoir », sourit- il. Notre obsession grandissante des nanotechnologies a permis de développer de nouvelles techniques, comme la microscopie à force atomique, qui nous permet de mesurer les forces de frottement à des échelles de plus en plus petites. En 2008, des chercheurs ont réussi à déplacer un atome seul sur une surface et à mesurer les forces impliquées. Grâce à ces avancées, la simulation numérique a fait de grands progrès. La recherche de Jean-Francois Molinari est à l’avant-garde de ces tentatives de simulation. Pour lui, le frottement est bien plus qu’une mesure empirique: c’est une force dont les caractéristiques physiques s’intègrent à un niveau beaucoup plus fondamental.
Au moyen du calcul à haute performance pour lancer des algorithmes en parallèle, il associe la dynamique moléculaire à très petite échelle à la mécanique des milieux continus aux échelles plus grandes. Résultat : la toute première plate-forme de simulation basée sur la physique, parallèle et multi-échelle, permettant de calculer directement la force de frottement. Elle est intégrée dans une plate-forme de logiciels libres afin d’être utilisée pour plusieurs applications pratiques: concevoir des surfaces avec des propriétés adhésives particulières, optimiser la finition des surfaces, ou développer des biolubrifiants et matériaux, par exemple. Jean-François Molinari espère aussi qu’elle permettra d’élucider des problématiques impossibles à étudier de façon empirique, comme notre incapacité à prédire les hausses de température dans le cas des tremblements de terre.