«Après mes cours, les étudiants regarderont les objets différement»

Véronique Michaud enseigne depuis 2009 la science des matériaux à l'EPFL.© Alain Herzog 2020 EPFL

Véronique Michaud enseigne depuis 2009 la science des matériaux à l'EPFL.© Alain Herzog 2020 EPFL

Professeure associée en science et génie des matériaux depuis 2017, Véronique Michaud a été nommée meilleure enseignante de cette section.

C’est avec un certain amusement que Véronique Michaud a accueilli sa distinction. Celle qui enseigne la science des matériaux depuis 2009 a autrefois été de l’autre côté du miroir, en tant que directrice de la section sciences et génie des matériaux de la faculté des sciences et techniques de l'ingénieur, elle recommandait ses collègues pour ce prix. «C’est un peu un retour d’ascenseur. A l’époque, j’avais mis beaucoup de cœur dans ce travail», sourit-elle.

Du cœur, elle en a toujours. A l’ouvrage, puisqu’elle est impliquée dans un nombre impressionnant de projets interdisciplinaires. Cœur sur la main aussi. Les étudiantes et étudiants la plébiscitent pour sa pédagogie et sa disponibilité. La porte de son bureau «en bric-à-brac» est toujours ouverte pour celles et ceux qui sollicitent ses conseils en matière d’orientation, ou qui ont besoin d'encouragement dans le cadre de son cours de première année sur la (rare) disponibilité dans la croûte terrestre de certains éléments nécessaires aux industries.

Sa méthode pédagogique consiste à donner aux étudiants «tous les outils pour apprendre», afin qu’ils puissent ensuite se débrouiller seuls. «Ce cheminement passe souvent par des frustrations, des interrogations, quelques moments de découragement, mais quelle satisfaction à la fin lorsqu’ils s’approprient la matière!», s’enthousiasme la professeure. Une méthode qu’elle a appliquée en premier lieu à elle-même.

This is America

Le début de la carrière de Véronique Michaud est marqué par un choc culturel. En 1987, étudiante en doctorat, elle part au Massachusetts Institute of Technology. Habituée à l’enseignement en France, où le professeur manipule des équations, mais n’explique pas leur sens physique, elle découvre une manière d’enseigner très différente. «J’avais l’impression de réapprendre à faire de la bicyclette. » L’équilibre entre une base scientifique solide et le sens physique pour avoir une compréhension globale de la discipline devient une évidence. «Il faut vivre dans un monde où l’on est conscient de ce qui nous entoure.»

Est-ce de là aussi que vient le besoin de faire un « show » pour « réveiller » les étudiants qui décrochent? «Beaucoup pensent qu’il suffit de s’asseoir en cours, même sans écouter, et qu’une sorte de magie de la science infuse va opérer. La science des matériaux est à la portée de tous, mais il faut s’accrocher. Quand je vois des yeux qui tournent, il est temps de changer de rythme, de montrer une expérience ou de lancer une petite blague. Mine de rien, je suis parfois lessivée après 2 heures de cours !»

Une vocation (presque) toute tracée

Enfant, Véronique Michaud n’a jamais songé à être enseignante. C’est le métier qui l’a choisie. Elle a caressé un temps, avec une certaine naïveté, le rêve d’élever du petit bétail et de faire ses fromages de chèvre. «On était en pleine période post soixante-huitarde», s’excuse-t-elle presque. Mais l’enseignement l’a rattrapée. En effet, elle aimait aider son voisin ou les élèves de sa classe, en donnant des cours particuliers de mathématiques. On lui a souvent demandé de donner des cours à des filles, probablement car elle donnait l’exemple. «J’essayais de les « débloquer » et de leur faire prendre conscience qu’elles n’étaient pas plus bêtes que d’autres si elles avaient la bonne méthode.» Elle-même n’a jamais rencontré d’obstacles liés à son genre au cours de sa carrière, et elle a toujours promptement recadré les quelques remarques sexistes.

De l’esthétique dans les composites

Curieuse et terre à terre, Véronique Michaud s’est rapidement intéressée aux matériaux, c’était pour elle une évidence: ils composent notre monde, partout. Au-delà des propriétés de structures et de fonction, l’esthétisme des composites, parfois utilisés dans des œuvres d’art, mériterait d’être plus enseigné, selon elle. «Il ne suffit pas que l’objet fonctionne, il faut aussi et surtout qu’il soit pensé pour l’être humain qui va l’utiliser, pour qu’il puisse l’adopter. Je préviens mes étudiants qu’après mes cours, ils ne pourront plus jamais regarder un objet du quotidien sans penser à sa composition, sa microstructure, qui dictent ses propriétés», dit-elle avec un brin de malice.

Le cœur, toujours lui, la guide vers certains projets plutôt que d’autres et elle y attache une dimension affective particulière quand ils ont une portée humanitaire. Elle a par exemple participé au projet Agilis pour le CICR, soit la conception de nouvelles prothèses de pied en matériaux composites, et travaille actuellement à la mise en place d’une filière de recyclage de plastiques vers des pièces imprimées en 3D pour des personnes en situation de handicap en Colombie. «J’ai l’impression d’avoir développé quelque chose de scientifiquement intéressant, même si c’est parfois plus difficile sur le plan technique et la maîtrise des coûts. C’est aussi un peu ma modeste contribution pour aider le monde.» Mais pas seulement. «J’ai aussi une préoccupation environnementale et je suis sensible aux déchets. Je suis impliquée dans la task force qui soutient l’industrie suisse pour fabriquer des masques. Je m’assure qu’on puisse en avoir des lavables, réutilisables, que leur durée de vie puisse être prolongée.» Pragmatique, elle résume : «Les matériaux plastiques ont apporté beaucoup de bienfaits, mais il faut aujourd’hui s’assurer de les utiliser de la manière la plus harmonieuse et respectueuse possible.»