Ana Marija Jakšić, éducatrice de mouches

Confinée sur une île de l'Adriatique, la jeune chercheuse n'a pas seulement élevé des mouches. © DR

Confinée sur une île de l'Adriatique, la jeune chercheuse n'a pas seulement élevé des mouches. © DR

Engagée à l’EPFL au 1er mai, la jeune chercheuse en neurobiologie de l’évolution n’a pas encore pu rejoindre son laboratoire lausannois. Pour autant, elle n’a pas perdu de temps en élevant des mouches « à l’ancienne ».

Son rêve était à portée de main : un laboratoire, une dotation pour au moins trois ans, un environnement fabuleux et l’occasion unique de fusionner la biologie évolutionniste expérimentale et les neurosciences. Début mars, Ana Marija Jakšić, qui a terminé un post doc à la Cornell University, se prépare à rejoindre l’EPFL. La brillante chercheuse de 29 ans a été sélectionnée pour la nouvelle bourse EPFL Life Sciences Early Independent Research Scholar (ELISIR). Son contrat démarre le 1er mai.

Alors qu’elle s’apprête à franchir l’Atlantique, les vols sont annulés en cascade. Le 15 mars, elle dégotte un des derniers vols qui l’amène du Canada à la Croatie de son enfance. Elle file rendre visite à ses parents dans la maison de vacances familiale, située sur une petite île de l’Adriatique d’un millier d’âmes, avec pour seul commerce une épicerie. Quelques jours plus tard, le couperet du confinement tombe. Impossible de s’échapper. L’horizon temps est complètement bouché.

Un laboratoire avec les moyens du bord. ©DR

«J’ai fini de rédiger tous les articles possibles. Puis, je ne pouvais plus rester les bras croisés, il me fallait commencer mes expériences.» C’est pire qu’une démangeaison, une nécessité. L’absence de conditions de laboratoire, en particulier celle de lignées de Drosophiles, ne constitue pas du tout un obstacle. «J’ai placé des pièges à mouches dans les oliviers de mon jardin, mis quelques peaux de bananes et de pommes. Après quelques jours, la première mouche est apparue. Deux jours plus tard, il y en avait deux, 15 le lendemain…» Comme les cas de coronavirus, résume la chercheuse qui raconte aussi l’histoire dans un fil de discussion sur son compte Twitter, en vétérante comme elle le ferait à des enfants… en 2078.

“Un bench on the beach”

«J’ai fabriqué des outils avec les moyens du bord: des pipettes à l’aide de pailles et de pointes de stylo, des entonnoirs en papier d’aluminium, des bouchons avec des chaussettes, un labyrinthe en dessous de plat… C’était rudimentaire, mais magnifique: je travaillais dans le jardin, avec vue sur la mer, j’avais mon bench on the beach! Au moins, j’ai pu tester quelques idées pour ma future recherche», se félicite Ana Marija.

Transport sécurisé. ©DR

Des mouches «superintelligentes»

C’est-à-dire? «Je suis en train de mettre en place une grande expérience pour mesurer comment les mouches pensent, en testant leurs capacités de mémoire et d’apprentissage et leur évolution», répond-elle le plus scientifiquement du monde. «On les entraine par exemple à choisir une certaine couleur – par un mécanisme de récompense et punition - et on regarde si elles s’y conforment. A terme, l’idée est de sélectionner les mouches les plus «intelligentes» au fil des générations et de comprendre cette évolution sur la durée.» De la science fondamentale pour mieux appréhender l’évolution du cerveau en général.

Un laboratoire de fortune dans la salon de sa soeur à Zagreb. ©DR

Le 20 juin, Ana Marija Jakšić a pu quitter son île pour la vie plus trépidante de la capitale. Elle a installé son laboratoire de fortune dans le salon de l’appartement de sa sœur. «Elle a admis qu’elle en avait marre d’enlever les mouches de son café et les a bues aujourd’hui», plaisante-t-elle sur Twitter. Ana Marija espère enfin rejoindre son laboratoire ces prochains semaines, quand les questions administratives pour franchir la frontière suisse seront enfin réglées. La dernière – et première – fois qu’elle s’est rendue à l’EPFL, c’était l’an dernier pour son entretien.