100 ans de relativité et la passion de la vulgarisation

© 2015 EPFL

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Le temps et l’espace fêtent un siècle de mariage. Pour célébrer les 100 ans de la théorie de la relativité, Anais Rassat et ses complices d’outre-Manche ont mis en scène Einstein dans une animation ludique. La physicienne de l’EPFL explique sa démarche.


Le 25 novembre 1915, Albert Einstein présentait sa théorie de la relativité générale à l’Académie prussienne des sciences. Depuis, le temps et l’espace sont devenus les deux côtés d’une même pièce, et on ne voit plus tout à fait le monde de la même manière. Le Big-Bang marque la naissance de l’Univers, les satellites GPS utilisent ces mêmes équations pour le plus grand bonheur des conducteurs, et le portrait du physicien tirant la langue est devenu l’icône internationale du savant. Anais Rassat et ses complices lancent aujourd’hui une animation ludique pour expliquer cette théorie au grand public.

La physicienne de l’EPFL n’en est pas à son coup d’essai. La chercheuse a commencé son parcours de vulgarisatrice scientifique à Hyde Park, au milieu des prédicateurs religieux et des satiristes politiques de tous poils. Elle a entre autre été bloggeuse au Huffington Post, responsable de la communication pour le projet Euclide, membre du comité de TedX Paris, intervenante aux conférences LIFT… Elle conjugue son travail de chercheuse et de communicatrice scientifique, et nous explique les raisons de son engagement.

A écouter les physiciens, les 100 ans de la relativité générale représentent plus qu’un simple anniversaire. Et pour vous-même ?
Anais Rassat: Il s’agit d’un extraordinaire moment de la science, qui a changé le monde entier. Pendant un siècle ou presque, la relativité générale a été pratiquement indépassable. Elle a donné une explication vérifiable au phénomène de la gravité, elle nous a permis de donner à l’Univers une date de naissance, d’imaginer le Big-Bang, alors qu’auparavant on ne savait même pas s’il avait eu un début. A un niveau plus terre à terre, sans les équations d’Einstein, les satellites GPS ne fonctionneraient pas. Mais dans le même temps, on parvient au moment où la théorie semble arriver à ses limites. A la fin des années 90, on s’est rendu compte que l’expansion de l’Univers s’accélérait. Ca ne colle pas avec les équations, qui nous disent en gros à quoi devrait ressembler l’Univers, en fonction de la quantité de matière qu’on y trouve. En fait, pour que la théorie de la relativité décrive précisément l’Univers, nous avons besoin de beaucoup plus de matière que ce que nous observons.

Cela implique-t-il que la théorie est fausse, ou comporte des erreurs ?
C’est exactement ce que je cherche à expliquer au public. En science, on ne parle pas de vérité absolue. La théorie de la relativité est correcte tant qu’elle correspond aux observations. Et pour qu’elle corresponde, on a introduit entre autres la notion de matière noire. Or des observations récentes nous donnent aujourd’hui de très bonnes raisons de penser que cette matière invisible existe vraiment. Ce doit être des particules exotiques, on ne le sait pas encore très précisément.

La théorie avait en quelque sorte prédit l’existence de cette matière avant que nous ne l’observions?
C’est probablement le cas. En fait, il est possible que la relativité générale ne décrive que 5% de l’Univers, soit la matière visible. La matière noire, quant à elle, compterait pour 25%. Le reste, ce serait 70% d’énergie sombre, une sorte de force exotique qui ferait que les lois de la gravité changent lorsqu’on se trouve à très grande échelle. Mais elle pose des problèmes plus complexes. Il est possible qu’elle n’existe pas vraiment, et corresponde en réalité à un problème dans la théorie. C’est pour cela que j’évite de trop en parler! Quoi qu’il en soit, on a une théorie qui décrit précisément tout ce que nous pouvons observer directement, mais qui ignore jusqu’à 95% de tout ce qui existe!

Pensez-vous que nous allons y voir plus clair dans un futur proche ?
Il risque d’arriver pas mal de choses dans les prochaines 20 à 30 années. Par exemple grâce au projet Euclide, auquel je contribue et qui réunit plus de 1300 physiciens du monde entier. Certains pensent que les équations doivent changer pour correspondre aux observations, et d’autres qu’il faut ajouter des éléments encore non observés, comme l’énergie sombre. Nous allons cartographier précisément l’Univers et obtenir de nouveaux éléments de réponse. Le but final, c’est de savoir s’il faut changer la théorie, ou s’il existe de nouveaux éléments qui étaient restés invisibles jusqu’alors.

Revenons à votre animation. Elle ne va pas jusque dans ces détails.
C’est un film destiné au grand public, et une manière d’offrir de la visibilité à cet anniversaire capital pour l’histoire des sciences. Cela fait des années que je l’anticipe avec le réalisateur Jamie Lochhead. Ensemble, nous avons conçu le scénario, et le gros du travail a été exécuté par l’animateur Eoin Duffy. Enfin, nous avons eu la chance d’obtenir la collaboration de David Tennant pour la voix off, un acteur britannique connu pour avoir incarné le personnage principal de Docteur Who. Notre projet a été financé par le Science and Technology Facilities Council.

Vous avez semble-t-il un bon réseau de vulgarisateurs scientifiques de l’autre côté de la Manche!
C’est en Angleterre que j’ai commencé à m’intéresser à la question de la communication scientifique. Je rédigeais l’introduction de ma thèse, soit une cinquantaine de pages où je devais, entre autres, retracer toute l’histoire de la cosmologie. Il m’a semblé que je pourrais y voir plus clair en l’expliquant au grand public. Je me suis rendue au Hyde Park de Londres, au célèbre Speaker’s Corner, où chacun peut s’exprimer librement sur n’importe quel sujet. J’avais apporté un télescope pour observer le Soleil et enfilé un gros carton sur lequel j’avais écrit «posez-moi des questions sur le Big-Bang». Je me trouvais au beau milieu d’autres orateurs, aux thèmes plutôt politiques ou religieux, et j’ai fait du speed communication, un peu comme on fait du speed-dating. Je me donnais trois minutes pour faire mon exposé, pas plus.

L’expérience était-elle concluante ?
Je me suis rendue compte que cela me permettait de mieux comprendre mon propre sujet. J’ai appris à parler sans jargon. C’est essentiel, parce qu’à force d’utiliser un langage de spécialiste, on perd souvent de vue ce que l’on veut vraiment dire. On en vient même parfois à oublier ce qu’est la véritable question à laquelle on tente de répondre. J’ai découvert qu’en communiquant au public, je parvenais à remettre en perspective mon propre travail.

Il n’empêche, la communication scientifique ne compte pas énormément sur un CV académique.
Pourtant, c’est un investissement qui peut réellement avoir un énorme retour. A terme, si on obtient le soutien du public, on obtient les moyens pour travailler. Mais il s’agit d’un investissement collectif, qui profite à l’ensemble de la communauté scientifique. D’où l’importance de motiver les individus et de reconnaître ce savoir faire. Heureusement, les choses changent et la communication au public compte de plus en plus. Par exemple, si vous postulez comme chercheur à la NASA, cet aspect compte pour 25% de l’évaluation de votre dossier.

Cela fait-il partie de la mission des scientifiques que de chercher le soutien du public?
En tant que chercheurs nous avons une responsabilité. C’est le public qui nous finance, et nous lui devons quelque chose. En temps de crise, comme actuellement, on me demande souvent pourquoi il faudrait continuer à financer la recherche fondamentale. Mon exemple favori, c’est celui de la découverte de la mécanique quantique. On a financé ces travaux dans les années 30, alors que sévissait une crise économique et sociale d’une ampleur bien plus importante que celle qui nous frappe aujourd’hui. Or sans ces recherches, il n’y aurait aujourd’hui ni internet, ni ordinateurs. La science transforme la société, certes de manière imprévisible, mais elle le fait toujours.

La science induit aussi des changements sociaux, de nouvelles manières de voir le monde.
Bien sûr. C’est ce que j’appellerai le capital culturel, par opposition au capital technologique. D’où vient-on, quelle est notre place dans l’Univers? Ce sont de très belles questions, qui valent pour elles-mêmes, mais qui ont aussi un réel impact sur notre vision du monde. Par exemple, quand on se rend compte que nous ne sommes pas au centre de l’Univers, que notre système solaire n’est qu’un des nombreux systèmes de notre galaxie, et que des galaxies, on en compte des milliards… Cette compréhension nous unifie, nous rapproche en tant qu’êtres humains. Je ne veux pas m’improviser philosophe, mais je pense que cette vision relativise bien des choses et ouvre de nouvelles perspectives sur ce que nous sommes.


Auteur: Propos recueillis par Lionel Pousaz

Source: EPFL