Zéro gravité: la quête de la bulle parfaite

Dans l'Airbus A300, les chercheurs de l'EPFL en apesanteur © EPFL/LMH

Dans l'Airbus A300, les chercheurs de l'EPFL en apesanteur © EPFL/LMH

L’avenir des barrages hydroélectriques se joue en apesanteur. Dans un Airbus spécialement équipé, des chercheurs de l’EPFL étudient le phénomène de la cavitation, responsable de l’érosion des turbines.

De minuscules bulles défient des turbines géantes de plusieurs mètres de diamètre. Formées par l’accélération des pales, elles éjectent de la matière à une vitesse supersonique et rongent peu à peu les installations. C’est le phénomène de cavitation, l’un des plus complexes et destructeurs auxquels sont confrontés les ingénieurs en hydroélectricité. Pour mieux le comprendre, des chercheurs de l’EPFL sont montés à bord d’un Airbus A300. Spécialement équipé, l’avion permet d’atteindre un état d’apesanteur pendant quelques secondes. Débarrassés du paramètre de la gravité, les scientifiques s’efforcent de modéliser la formation des bulles de vapeur. A terme, le but est d’aider à concevoir des turbines résistantes à leur assaut.

«La cavitation reste obscure, explique Mohamed Farhat, chercheur au Laboratoire de machines hydrauliques. Sans que l’on sache vraiment pourquoi, le phénomène peut se montrer peu érosif, ou au contraire faire perdre à une turbine plusieurs dizaines de kilos de matière chaque année.» Résultat : des manques à gagner parfois très importants lors des travaux de réfection. Le problème est suffisamment important pour amener des entreprises leaders dans le secteur hydroélectrique, dont Andritz, Alstom ou Voith, à collaborer avec l’EPFL.

Entraînée par les pales de la turbine, l’eau subit une accélération et une perte de pression. De minuscules bulles de vapeur d’un micromètre de diamètre se forment, se dilatent puis implosent. L’onde de choc et les matières projetées érodent peu à peu l’installation. «La surface est petite, mais l’énergie importante. La pression est alors 10'000 fois plus élevée que celle de l’atmosphère. Chaque bulle qui implose entraîne un ou deux micromètres carrés de dégâts», explique Mohamed Farhat.

Grâce à l'apesanteur, des bulles presque sphériques
Affrété par l’agence spatiale européenne, l’Airbus A300 ne vole que deux fois par année. Modifié pour effectuer des trajectoires paraboliques, il permet, l’espace de quelques instants, d’abolir la gravité. Sélectionnés pour un vol en octobre, les scientifiques de l’EPFL ont réussi à obtenir des bulles quasi sphériques – chose impossible sur le plancher des vaches. «La gravité complique passablement les choses, explique Mohamed Farhat. En nous en débarrassant, il devient possible de mettre au point un modèle expliquant la cavitation.»


Par la suite, les chercheurs pourront réintégrer la gravité dans leurs équations. De la sorte, il sera plus facile de comprendre pourquoi tel modèle de turbine est plus affecté qu’un autre par la cavitation, et surtout de les concevoir dès le départ pour limiter le phénomène. Les petites bulles destructrices n’ont pas fini de faire suer scientifiques et ingénieurs, selon Mohamed Farhat. «Le phénomène est suffisamment complexe pour occuper encore une génération de chercheurs.»

Une collaboration EPFL, Oxford University et Max Planck Institute

En 2006, l’équipe de Mohamed Farhat avait déjà participé à un vol en apesanteur de l’Airbus A300. La vidéo :


Auteur: Lionel Pousaz

Source: EPFL