Voir le cerveau avec l'oeil d'un géologue

© 2015 EPFL – Jamani Caillet

© 2015 EPFL – Jamani Caillet

Grâce à un outil d’imagerie utilisé par les géologues, des chercheurs ont réussi à obtenir des images en haute résolution de l’intégration des atomes de carbone issus du glucose dans le cerveau. Ce fait sans précédent offre de nouvelles connaissances et perspectives sur le sort du glucose dans le cerveau.

On le sait, le glucose est une forme de sucre qui alimente le cerveau. En revanche, ce qui n’est pas encore clair, c’est comment il passe du sang aux cellules du cerveau et où il termine son parcours. Des chercheurs de l’EPFL, du Nestlé Health Institute et de l’Université de Lausanne ont donc exploité la puissance d’un microscope très particulier afin de réaliser, pour la première fois, des images du métabolisme du cerveau. Leur but était de suivre la trace des atomes individuels de carbone au fin fond des neurones et astrocytes cérébraux, et leur travail, publié dans le Journal of Chemical Neuroanatomy, ouvre la voie vers une meilleure compréhension de la métabolisation du glucose par les cerveaux sains et malades. A l’avenir, cela pourrait contribuer au développement de nouvelles méthodes permettant de diagnostiquer et traiter les maladies neurologiques.

« Ce que nous savons, c’est que la moitié du glucose présente dans notre sang est consommée par notre cerveau. Ce que nous ne savons pas ou pas en détails, c’est dans quel but le glucose est utilisé et où il termine son parcours », explique Arnaud Comment, l’un des chercheurs principaux de l’étude. Les méthodes expérimentales déjà existantes n’ont en effet pas été capables de résoudre cette question de manière concluante. Cependant, grâce au microscope NanoSIMS, développé à l’origine pour étudier la composition isotopique d’échantillons de roche, il semblerait que les chercheurs disposent enfin d’un outil leur permettant de trouver une réponse.

« Le NanoSIMS nous offre un aperçu de ce qui se passe au niveau infracellulaire, où personne n’a encore eu accès. C’est un bon exemple de détournement d’une technologie géochimique vers le domaine des sciences de la vie, grâce à une collaboration sur le campus », précise Anders Meibom. A l’EPFL, son laboratoire de recherche gère le NanoSIMS, unique exemplaire de ce type en Suisse. L’appareil combine la microscopie électronique en transmission (MET) avec la spectrométrie de masse à ionisation secondaire, ce qui permet aux chercheurs de localiser des quantités infimes d’atomes marqués avec une résolution de quelques centaines de nanomètres seulement.

« Dans le cadre de cette recherche, nous avons capturé le sort du glucose, source principale d’énergie du cerveau, au niveau cellulaire », décrit Meibom, second chercheur principal de l’étude. « Nous avons cherché à savoir où le cerveau investit ses ressources. Bien que nous n’ayons pas encore de réponse claire, nous disposons tout de même de données qui montrent qu’après quelques heures, les neurones ont accumulé plus de carbone issu du glucose dans leurs structures que les astrocytes. Il est possible de trouver des concentrations élevées d’atomes de carbone provenant du glucose dans les noyaux des neurones et dans d’autres compartiments cellulaires – signe d’une activité métabolique accrue. »

Alors que leurs découvertes ne réfutent ni ne valident les théories actuelles soutenant que les astrocytes extraient le glucose depuis le sang et en distribue une partie aux neurones, elles fournissent un aperçu très détaillé et inédit de ce qu’il advient du carbone issu du glucose dans le cerveau.

Pourtant, les chercheurs espèrent que leur méthode pourra contribuer à déterminer la signature métabolique précoce de certains types de maladies. Cela constituerait une aubaine pour la recherche et le développement de stratégies de traitement. Il reste par exemple difficile de déceler les premiers signes de la maladie d’Alzheimer, car lorsque la structure des cellules cérébrales est affectée de manière visible, il est déjà trop tard. Ainsi, des signaux plus subtils devraient être détectés comme des changements dans le métabolisme des cellules – à savoir, les réactions chimiques qui les soutiennent en leur fournissant énergie et substance. Par exemple, des changements dans le métabolisme du glucose de certaines parties du cerveau pourraient se révéler être des alertes précoces du début de la maladie d’Alzheimer.

A l’heure actuelle, le NanoSIMS permet aux chercheurs d’étudier l’incorporation d’atomes marqués dans des structures solides. Toutefois, Anders Meibom souhaite aller plus loin. « Nous nous attelons à augmenter les capacités du NanoSIMS afin de pouvoir travailler avec des échantillons gelés, ce qui nous permettrait de visualiser les composés solides. Utiliser ce futur CryoNanoSIMS sera un moyen de visualiser où certains composés spécifiques ont été intégrés dans les protéines qui constituent la cellule et de retrouver leurs précurseurs métaboliques dissous, » dévoile-t-il.

Référence: Yuhei Takado et al., Imaging the time-integrated cerebral metabolic activity with subcellular resolution through nanometer-scale detection of biosynthetic products deriving from 13C-glucose, Journal of Chemical Neuroanatomy, 2015

Ce projet a été soutenu par la Fondation Synapsis.


Auteur: Jan Overney

Source: EPFL