Une zone piétonne pour micro-ondes.

© 2013 Chuyang Zheng
La propagation du rayonnement électromagnétique dans la matière est généralement gouvernée par des propriétés telles que la dispersion du milieu ou du guide d'onde dans lesquels se propage la radiation. Dans un article publié dans Nature Physics, des chercheurs de l'Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL), du Walther-Meissner-Institute (WMI), de la Technische Universität München (TUM) et de l'Institut Max Planck d'optique quantique (MPQ), ont réussi à contrôler la propagation des signaux par une approche radicalement différente. En utilisant le couplage électromécanique d'une tige de nitrure de silicium au champ se propageant dans un guide d’onde, ils ont ainsi réussi à retarder et à anticiper la propagation d’impulsions de micro-ondes avec des délais accordables de quelques millisecondes en ayant des pertes et des distorsions négligeables.
Un câble coaxial réalisant le même retard ferait 600 km de long et atténuerait sensiblement le signal, il serait en outre coûteux et à peine accordable.
Les équipes des professeurs Tobias Kippenberg à l'EPFL (LPQM) et au MPQ, et Rudolf Gross au WMI et au TUM travaillent en étroite collaboration à l'étude de circuits intégrés supraconducteurs transmettant des micro-ondes, couplés à des oscillateurs nanomécaniques.
Ces systèmes hybrides combinent deux technologies qui ont traditionnellement été étudiées dans des contextes différents:
Les circuits intégrés micro-onde à base de supraconducteurs sont essentiellement des circuits imprimés qui fonctionnent à des fréquences très élevées (6 GHz) et des très basses températures (0,05° K ). Ces dernières années, ces circuits ont émergé en tant que les candidats les plus prometteurs pour les futurs processeurs d'information quantique, en raison de leur vitesse de fonctionnement, l’excellente cohérence et leur évolutivité.
Les oscillateurs nanomécaniques, d'autre part, ont encore des aspects inexplorés dans la description quantique de leur mouvement vibratoire, et manifestent les effets des lois de la mécanique quantique dans des systèmes de formes macroscopiques.
Dans une recherche dont les résultats viennent d’être publiés dans Nature Physics, les scientifiques ont combiné ces deux classes de dispositifs dans le but de pouvoir observer et modifier leurs propriétés par l'interaction réciproque. Ils ont créé un dispositif de la taille d’un ongle où les propriétés de transmission d’un guide supraconducteur micro-ondes sont modifiées par les changements de capacité induits par les vibrations d’une tige nanométrique.
Par analogie avec les phénomènes connus en physique atomique et en optique, ils ont constaté que l'oscillateur nanomécanique peut servir de médiateur pour créer des interférences entre les micro-ondes, et peut être exploité pour contrôler la propagation des signaux. En particulier, ils ont pu créer des fenêtres de transmission spectrale extrêmement étroites (largeur de raie à 10 Hz) pour le rayonnement micro-ondes qui impliquent (par les relations de Kramers-Krönig) des fortes variations de l’indice de réfraction donnant lieu à un ralentissement ou une augmentation de la vitesse (de groupe) de la radiation. Des délais très longs, de l'ordre de quelques millisecondes peuvent alors être obtenus dans la transmission des signaux. Ainsi, une impulsion de micro-ondes parcourt le circuit sur la puce dans le même temps qu’il lui aurait fallu pour parcourir les 600 km de Garching (site de l'WMI ...) à Lausanne dans le vide.
De plus, la largeur, le retard, mais aussi l'amplitude de la fenêtre de transmission, c'est à dire, la fraction de l'énergie transmise, peuvent être contrôlés de manière dynamique par un deuxième champ de micro-ondes. Ces dispositifs peuvent en outre être utilisés pour le traitement de l'information quantique, car ils opèrent dans un régime où la décohérence, un effet potentiellement destructeur des états quantiques, n'est pas un problème critique.
«Nous avons construit une plate-forme pour manipuler la propagation des ondes dans une architecture totalement intégrée sans qu'il soit nécessaire de détecter et régénérer des photons. Cette approche est aussi applicable au domaine de l'informatique quantique et du traitement de l'information quantique, commente Zhou Xiaoqing, la doctorante qui a développé le dispositif dans le Centre de MicroNanoTechnologies (CMI) de l'EPFL.
Le domaine d’application de ce dispositif est vaste, car il affiche des propriétés importantes pour des domaines de recherche fondamentale comme la physique atomique ou le stockage et le transfert de l'état quantique ou pour des applications technologiques, comme l'électromécanique, la nanomécanique et circuits supraconducteurs. En particulier, les auteurs réfléchissent actuellement à des expériences impliquant des circuits supraconducteurs plus sophistiquées, qui peuvent permettre la préparation et la manipulation de l'état quantique de l'oscillateur nanomécanique.