Un peu de vie, goutte après goutte

© Hamad M

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Des chercheurs de l’EPFL planchent sur le moyen de créer artificiellement du tissu vivant à l’aide d’une imprimante et d’une encre bien particulière. Dans un premier temps, cette technologie pourrait fournir des échantillons biologiques utiles pour tester de nouveaux médicaments.

Un pas décisif vers la création artificielle de matière vivante a été accompli par des chercheurs de l’EPFL. Ils travaillent sur une technique qui devrait permettre, à terme, d’«imprimer» du tissu vivant proche de celui des humains, où les cellules pourront se développer et interagir de manière harmonieuse et coordonnée. Leurs recherches a fait l’objet d’un article récemment publié dans la revue «Advanced Materials».

«Nous n’avons pas encore créé de tissu proprement dit, explique Jürgen Brugger, professeur au Laboratoire de microsystèmes 1 (LMIS1). A ce stade, nous avons essentiellement étudié une manière de structurer et conditionner le matériel biologique en trois dimensions, un travail qui vise à améliorer la culture de cellules et servira ensuite de base à la création de tissu.»

Fruit d’une collaboration entre les facultés des sciences et techniques de l’ingénieur (STI) et des sciences de la vie (SV), cette nouvelle technologie prévoit d’imprimer du tissu gouttelette après gouttelette. Elle résulte en fait de la combinaison de plusieurs avancées.

Tout d’abord, qui dit impression, dit encre. Une matière première dont la conception soulève de nombreux défis, comme le relève Matthias Lutolf, professeur au Laboratoire d’ingénierie des cellules souches (LSCB): «Mélanger les bons ingrédients ne suffit pas. Les cellules poussent de manière aléatoire, désordonnée, et ne constituent pas un tissu viable.»

Matière plus malléable

Pour avoir une cohérence d’ensemble, ces cellules ont besoin d’un environnement qui agit comme un donneur de signal et leur attribue à chacune un comportement bien spécifique: prolifération, migration, différenciation ou disparition. Dans les tissus naturels, ces signaux proviennent des molécules, qui constituent une sorte de matrice extracellulaire complexe. En travaillant sur les liens et la communication des cellules entre elles et avec ces molécules, les chercheurs ont pu reconstituer cette matrice et créer ainsi une nouvelle encre biologique.

Sur un plan technique, les chercheurs de deux laboratoires LMIS - ceux des professeurs Jürgen Brugger et Philippe Renaud - ont planché sur la mise au point d’un gel servant de socle à la construction du tissu ainsi que sur une nouvelle stratégie d'impression des gouttelettes. Grâce à cette substance composée d’un concentré de calcium et leur séquence d'impression, chaque goutte d’encre atterrissant à sa surface se fige et garde sa forme initiale au lieu de s’étaler.

«Les différents éléments du tissu ne se mélangent ainsi plus de manière incontrôlée, explique Jürgen Brugger. Surtout, la matière polymérise plus rapidement et devient flexible et malléable, ce qui nous permet d’assembler plusieurs couches de cellules et d’envisager la construction de canaux, indispensables pour la circulation des fluides, l’apport de nutriments et l’évacuation des déchets.»

Tester de nouveaux médicaments

«La combinaison de ces avancées techniques et biologiques nous offrent les conditions de base pour aller vers une culture de tissus où les cellules se développent et vivent heureuses… », résume Matthias Lutolf.

Même si ce n’est pas encore demain que l’on pourra constituer un tissu complet, les applications à moyen terme d’une telle technologie n’en sont pas moins intéressantes. «L’une des plus prometteuse est de disposer d’échantillons de tissus fonctionnant comme ceux des êtres humains et servant à tester de nouveaux médicaments, décrit le spécialiste en bio-ingénierie. Ceci serait non seulement pertinent biologiquement parlant, mais pourrait amener à limiter la nécessité de recourir à des tests sur animaux.»