Un nano-velcro pour détecter le mercure
Rejeté dans les lacs et les mers, le mercure s’accumule dans l’organisme des poissons. Il finit parfois dans notre assiette. Des chercheurs suisses et américains sont parvenus à mettre au point un système de détection simple et d’une précision sans précédent.
Un nano-velcro pour piéger et détecter les polluants. Des chercheurs ont mis au point un système basé sur des nanoparticules, recouvertes de poils capables de retenir certains des métaux lourds les plus dangereux, comme le mercure ou le cadmium. Développée par les équipes de Francesco Stellacci à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) et Bartosz Grzybowski à la Northwestern University, cette technologie permet de contrôler facilement et à moindres coûts la concentration de ces substances dans l’eau et, surtout, dans les poissons que nous consommons. D’une précision sans précédent, elle permet de détecter le méthylmercure à des concentrations infimes, dites «attomolaires». Le procédé fait l’objet d’une publication dans Nature Materials le 9 septembre.
Le méthylmercure, dangereux et coûteux à surveiller
Le mercure, notamment, est dans le viseur des chercheurs. Sa forme la plus courante, le méthylmercure, s’accumule le long de la chaîne alimentaire. C’est donc dans la chair des grands poissons prédateurs, tels certaines espèces de thon ou d’espadon, qu’on en retrouve les plus grandes quantités. Aux Etats-Unis, en France ou au Canada, notamment, les autorités conseillent aux femmes enceintes de limiter leur consommation de poisson – chez le fœtus, le mercure peut entraîner des troubles du développement du système nerveux.
«Le problème, c’est que les moyens de contrôle actuels sont trop coûteux et complexes, explique Francesco Stellacci, professeur en matériaux à l’EPFL et co-auteur de l’étude. On surveille les taux dans l’eau potable de temps à autre, et si les résultats sont bons, on part du principe qu’entretemps les niveaux sont toujours acceptables.» Or les rejets industriels ne sont pas toujours réguliers.
Une nouvelle technologie simple et bon marché
La technologie mise au point par l’équipe helvético-américaine est simple à mettre en œuvre. On trempe dans l’eau une languette de verre recouverte d’un film de nanoparticules «poilues». Quand un ion – une particule dotée d’une charge positive, comme le méthylmercure ou le ion cadmium, par exemple – se retrouve entre deux poils, ces derniers se referment et piègent le polluant.
Un simple appareil de mesure du courant électrique révèle le résultat. En effet, plus le nano-velcro capture de grandes quantités de ions, plus il est conducteur. Il suffit alors de mesurer le courant électrique à travers la nanostructure pour déduire combien de particules polluantes sont piégées.
En jouant sur la longueur des nano-poils, les chercheurs peuvent cibler plus ou moins précisément un type de polluant. «Le procédé est empirique», précise Francesco Stellacci. Coup de chance, le méthylmercure, notamment, a des propriétés telles qu’il est extrêmement facile de le piéger sans attraper au passage d’autres substances. Les résultats sont donc particulièrement fiables.
La fabrication d’une languette coûte au plus de cinq à dix euros. Quant à l’appareil de mesure, son prix n’excède pas quelques milliers d’euros. L’analyse peut être effectuée sur le terrain, et les résultats sont immédiatement disponibles. «Avec une méthode conventionnelle, il faut envoyer les prélèvements dans un laboratoire, et le matériel d’analyse coûte plusieurs millions d’euros», explique Francesco Stellacci.
Des tests concluants dans le Lac Michigan et en Floride
Les chercheurs ont notamment testé leur système dans le Lac Michigan, au large de Chicago. Malgré la forte industrialisation de la région, le niveau de mercure était extrêmement bas. «Le but était de comparer nos mesures à celles effectuées avec des moyens conventionnels par la Food and Drug Administration explique Francesco Stellacci. Et nos résultats sont comparables.»
Egalement testé, un poisson mangeur d’algues de la région des Everglades, en Floride. Une espèce qui n’accumule pas beaucoup de mercure– elle ne se trouve pas très haut dans la chaîne alimentaire. «Nous avons mesuré la chair dissoute dans l’acide. Le but était précisément de voir si nous pouvions détecter même des quantités extrêmement infimes», explique Bartosz Grzybowski, titulaire de la chaire Burgess de chimie à la Northwestern University. Avec des moyens conventionnels, la National States Geographical Survey obtenait des résultats quasiment identiques.
Un effet quantique pour une application concrète
«Ces résultats sont incroyables, ajoute Bartosz Grybowski. Nous sommes parvenus à traduire les principes complexes de l’effet tunnel quantique en un dispositif à la fois pratique et extrêmement précis. Sans compter qu’avec des modifications chimiques relativement simples, nous pouvons adapter notre système pour détecter d’autres substances toxiques.» Les chercheurs sont d’ores et déjà parvenus à détecter le cadmium avec un très bon niveau de précision.
Le nouveau procédé représente un gain considérable de temps et d’argent. «Nous pourrons procéder facilement à de très nombreux tests, sur le terrain, voire sur des stocks de poissons avant leur mise sur le marché », explique Eun Seon Cho, auteur principal. Une nécessité, au vu de la toxicité du méthylmercure et la manière très complexe dont il se propage et s’accumule dans les organismes vivants.
Cette recherche est soutenue par la compagnie ENI, à travers l’ENI-MIT Alliance ; la US Defense Threat Reduction Agency via une subvention au MIT et à l’Université du Michigan; le département US de l’énergie via une subvention à l’Université Northwestern et l’Université du Michigan.