Un microscope pour voir en direct la dynamique de la vie cellulaire

Les chercheurs intéressés par cet instrument apprennent à le construire à partir des pièces détachées. © LBNI / EPFL

Les chercheurs intéressés par cet instrument apprennent à le construire à partir des pièces détachées. © LBNI / EPFL

En utilisant un microscope à force atomique d'un nouveau genre, des chercheurs de l’EPFL ont trouvé un moyen de voir et de mesurer l’assemblage de protéines en temps réel et à un niveau de détails sans précédent. 


Dans le cadre de nombreux processus biologiques essentiels, protéines et molécules s’assemblent et se désassemblent naturellement. Or, il est très difficile d’observer ces opérations, qui sont souvent complexes et se déroulent à des échelles nanométriques, bien au-delà du domaine du visible. Pourtant, à l’EPFL, une équipe de chercheurs interdisciplinaire* a inventé et appliqué une technique permettant d’examiner ces mécanismes avec une précision sans précédent. Leur travail fait l’objet d’une publication dans la revue Nature Nanotechnology.

Les structures nanométriques ne peuvent être vues qu’avec des microscopes spécialisés, comme les microscopes à force atomique, inventés dans le milieu des années 1980. Ceux-ci créent une image en « sentant » physiquement la topographie d’un échantillon avec une pointe atomiquement fine, située au bout d’un très petit levier. L’échantillon est ainsi scanné point par point. Ce processus prenant du temps, ces instruments s’avèrent extrêmement pertinents dans dans le cadre de milieux fixes. Mais ils posent problème lorsque l’on veut observer des éléments mobiles, comme des situations d’assemblages de protéines par exemple.

« Le mouvement, c’est le propre même du vivant, et donc des processus biologiques, explique le Georg Fantner, qui dirige le Laboratoire de Bio- et Nano-Instrumentation (LBNI) à l’EPFL. Il était donc nécessaire de trouver un moyen de les observer. »


Adrian Nievergelt, doctorant, et Georg Fantner, professeur, devant le microscope.

Pour observer des échantillons qui changent au cours du temps, la vitesse de balayage doit être augmentée. Or, avec les microscopes traditionnels, le risque est trop important de toucher l’objet lui-même, et ainsi de modifier le milieu à analyser, ce d’autant plus que ces processus d’assemblage de protéines sont très fragiles. Les chercheurs de l’EPFL ont trouvé une méthode qui permet d'augmenter dramatiquement la vitesse de balayage tout en conservant un mouvement à la fois doux et d'une haute précision.

Deux mille lignes par seconde

« Nous sommes parvenus à ce résultat en utilisant deux lasers dans le microscope, décrit Adrian Nievergelt, doctorant au LBNI et co-premier auteur de l’étude. L'un d'eux, pulsé, est pointé à la base du levier, ce qui le chauffe localement et le fait se plier légèrement. Grâce à cette courbure, on peut sonder plus rapidement la surface tout en conservant un contrôle précis du mouvement. De plus, nous avons amélioré la performance globale du système, ce qui nous permet de balayer jusqu’à deux mille lignes par seconde. »

Ces chercheurs ont testé leur nouvelle technique sur la dynamique de formation de SAS-6. Cette protéine, qui prend la forme d'un anneau, joue un rôle clé dans l’assemblage des centrioles, de minuscules organelles issues du stade de l’algue et conservées jusqu’à celui des mammifères, qui sont fondamentales pour la mobilité des cellules et leur division. Grâce à ce nouvel instrument, les chercheurs de l’EPFL ont pu, pour la toute première fois et en temps réel, visualiser les différentes étapes d’assemblage de ces protéines, comme le montre la vidéo ci-dessus. « Ceci change la donne de manière critique pour le domaine », réagit Pierre Gönczy, expert en biologie des centrioles à l’EPFL et co-auteur de l’étude. Et Niccolò Banterle, post-doctorant dans l' Unité de Pierre Gönczy et co-premier auteur, d’ajouter: « Cette découverte nous offre un moyen de comprendre comment la nature organise la formation de certains des plus petits éléments constitutifs de la vie »

Intéressé par cet instrument ? Construisez-le vous-même!

Pour que d’autres aient accès à leur invention, l’équipe de Georg Fantner a décidé d’adopter une nouvelle approche. Dans l’esprit de la science en libre accès (open science), ils ont ainsi invité des chercheurs des quatre coins du monde à participer à un workshop sur le campus de l’EPFL durant lequel il peuvent construire le microscope à force atomique (AFM).

Le dernier en date a eu lieu en mars avec quatre participants provenant du Royaume-Uni, des USA et des Pays-Bas. Durant trois jours, ils ont chacun assemblé un appareil, puis l’ont testé pour être sûrs de son bon fonctionnement. Pour le prix d’un voyage à l’EPFL et des pièces détachées, ils sont ainsi repartis avec leur propre microscope, qu’ils ont pu ensuite immédiatement utiliser une fois de retour dans leur laboratoire.

Doctorante à l’Université de Sheffield, Laia Pasquina Lemonche estime que pouvoir rencontrer les inventeurs en personne est extrêmement utile. « Cela permet un vrai transfert de connaissances, décrit-elle. C’est incroyable, tout ce que nous avons pu faire en trois jours. Même le meilleur des manuels ne peut pas nous fournir tous les détails que nous avons obtenu de première main. Maintenant, je sais exactement de quoi cet instrument est fait, comment il fonctionne et pourrai donc au besoin rapidement le réparer. Je n’avais jamais rien construit auparavant, et ne savais même pas que j’aimais ça! »

Luc Henry, conseiller scientifique.

*Cette recherche est le fruit d’une collaboration entre deux entités de l’EPFL: le Laboratoire de Bio- et Nano-Instrumentation (LBNI) et le Laboratoire du Professeur Pierre Gönczy dans l’Institut Suisse de Recherche Expérimentale sur le Cancer (ISREC) à la Faculté des Sciences de la Vie.

Références

High-speed photothermal off-resonance atomic force microscopy reveals assembly routes of centriolar scaffold protein SAS‑6, Nature Nanotechnology, Adrian P. Nievergelt, Niccolò Banterle, Santiago H. Andany, Pierre Gönczy and Georg E. Fantner.



Images à télécharger

Le microscope à force atomique. © LBNI/EPFL
Le microscope à force atomique. © LBNI/EPFL
Le microscope en pièces détachées. © LBNI/EPFL
Le microscope en pièces détachées. © LBNI/EPFL
Adrian Nievergelt et Georg Fantner. © EPFL/ A.Herzog
Adrian Nievergelt et Georg Fantner. © EPFL/ A.Herzog
Des protéines s'assemblant en forme d'anneaux. © LBNI/EPFL
Des protéines s'assemblant en forme d'anneaux. © LBNI/EPFL

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