Trop à l'étroit, la ville regarde vers le bas

© 2009 Basile Geiser

© 2009 Basile Geiser

La méthode Deep City aide les experts en développement à profiter des ressources du sous-sol.

Une deuxième ville se cache sous les rues de Montréal, un complexe grouillant de magasins et de restaurants. Le substrat rocheux d’Helsinki a quant à lui été excavé à des fins industrielles (entrepôt d’huile, traitement des eaux, centre de données) avec des applications commerciales en devenir. Partout dans le monde, les cités se mettent à exploiter leur sous-sol, que ce soit à Tokyo, Paris, Amsterdam ou ailleurs. Il reste toutefois difficile d’évaluer le potentiel de cet espace souterrain. Si difficile même que certaines villes finissent par y renoncer. Or, les développeurs urbains en mal de soutien peuvent désormais recourir à Deep City, un cadre décisionnel systématique conçu à l’EPFL, qui vient d’être appliqué à quatre villes suisses et à autant de métropoles chinoises en plein essor.

« Les agglomérations qui ignorent le potentiel du sous-sol sur lequel elles reposent sont légion explique Li Huanqing, qui vient de terminer sa thèse au Laboratoire de recherches en économie et management de l’environnement de l’EPFL. Dans ce travail, elle démontre qu’une exploitation intelligente du domaine souterrain permet aux villes de se développer de façon optimale et se révèle un investissement payant à long terme. « Notre objectif? Proposer des planificateurs urbains munis d’un certain nombre de directives permettant d’utiliser les ressources du sous-sol avec une efficacité accrue. Ce problème relevant autant de l’ingénierie que de l’économie, il nous fallait impérativement intégrer ces deux disciplines à notre approche. » Deux articles dédiés à son travail sont sur le point d’être publiés par le journal Tunneling and Underground Space Technology.

Plus que de l’espace
L’espace est sans doute la ressource la plus évidente qui se trouve sous nos pieds, mais il a un prix: les bâtiments souterrains peuvent coûter jusqu’à cinq fois plus cher que des constructions usuelles à l’air libre. Cet investissement peut néanmoins se révéler salutaire lorsque des cités doivent grandir à tout prix, mais manquent de terrains pour le faire. Les frais peuvent être gardés sous contrôle si les projets sont reliés les uns aux autres, coordonnés sur l’ensemble d’une ville et que l’on en profite pour exploiter et tirer avantage d’autres ressources souterraines.

L’énergie géothermale fait partie de ces richesses insoupçonnées. Rendue plus accessible par les excavations, elle peut servir au chauffage des habitations ou à l’industrie. Les géomatériaux sont eux aussi un plus indéniable. Les débris des travaux s’accumulant inévitablement, ceux-ci peuvent être utilisés pour stabiliser les routes ou fabriquer du ciment. Un accès facilité à l’eau souterraine et sa protection systématique peuvent également aider les agglomérations à grandir. En bref, la gestion des multiples ressources cachées sous une petite parcelle de terrain peut se révéler un véritable défi!

Si la plupart des villes bénéficient d’un plan directeur qui documente l’utilisation et la valeur de leurs parcelles, rien n’existe ou presque lorsque l’on quitte la surface. Riche des expériences réalisées au niveau international, la méthode Deep City développée par le Laboratoire de géologie de l'ingénieur et de l'environnement de l’EPFL se donne pour but de combler cette lacune en confrontant la demande d’utilisation des sous-sols à leur potentiel d’exploitation. Il permet également d’aider les villes à étendre leurs systèmes juridiques à ces zones où la législation est le plus souvent inexistante. Dans le meilleur des cas, la possibilité d’exploiter les 100 premiers mètres sous la surface pour des projets de construction peut représenter un gain substantiel en potentiel de croissance.

Une étude sinohelvétique
La Suisse, avec ses tunnels et ses forteresses ensevelies, a toute une tradition d’exploitation de son sous-sol. Parmi les quatre villes testées en matière d’expansion souterraine potentielle, c’est Genève qui arrive en tête, suivie de Zurich, Lausanne et Berne. La forte densité de population de la Cité de Calvin, son haut PIB par habitant et la qualité de ses nappes phréatiques expliquent ce classement. Sans compter qu’elle s’oriente de plus en plus vers une utilisation accrue de sa sous-surface urbaine, avec une nouvelle ligne de métro et une extension enfouie de sa gare principale en gestation!

Dans sa thèse, Huanqing s’est intéressée au développement de la ville chinoise de Suzhou, susceptible d’atteindre les 5 millions d’habitants en 2015. La chercheuse réalise une étude de cas approfondie de son potentiel d’expansion sous la surface de la Terre. A ses yeux, cette analyse s’est révélée un succès. « Nous avons créé des liens avec le gouvernement afin de pouvoir proposer des cartes en 3D de la valeur du terrain, qui combinent ce facteur avec les autres contraintes, environnementales par exemple. »

Cela signifie-t-il que notre avenir résidentiel à tous sera sous terre? Certes non. Mais la construction d’infrastructures sous la surface du sol libère de la place à l’air libre, qui est une ressource fortement limitée. Il s’agit désormais de convaincre d’autres agglomérations de suivre la mouvance. Comme l’explique Li Huanqing: « Il est de notre responsabilité de montrer de quelle manière l’espace souterrain peut être utilisé de façon multifonctionnelle afin de créer la demande du futur. »


Auteur: Jan Overney

Source: EPFL