Robotique et neurosciences détectent le siège de la conscience de soi
Une nouvelle étude fait appel à l’ingénierie créative pour tirer au clair les mécanismes du cerveau associés à l’un des sentiments humains subjectifs les plus fondamentaux: la conscience de soi.
Publiée dans le numéro de la revue Neuron du 28 avril, cette recherche identifie une région cérébrale, la jonction temporo-pariétale (JTP), comme étant essentielle pour le sentiment d’exister d’une entité occupant une position particulière dans l’espace et percevant le monde depuis ce point de vue. En comparant les résultats entre des volontaires sains et des patients faisant état d’expériences extracorporelles (EEC) d’origine neurologique — le sentiment d’être en dehors de son propre corps — l’étude fait apparaître des liens entre l’activité cérébrale dans la JTP et la conscience de soi, chez les sujets sains comme chez les malades.
Les chercheurs ont adapté des configurations d’expériences précédentes, en y ajoutant la précision d’un dispositif robotique compatible avec l’IRM et l’analyse détaillée des données IRMf. «Combinées aux technologies d’ingénierie et de neurosciences cognitives, les techniques de neuro-imagerie constituent un outil puissant pour comprendre la relation entre la conscience de soi et l’activité cérébrale», explique Silvio Ionta, du Laboratoire de neurosciences cognitives de l’EPFL.
Des illusions de perception corporelle au cours de l’IRMf
A l’aide de stimuli visuels et tactiles appliqués par des voies robotiques, les volontaires ont été incités à croire que leur soi se trouvait soit plusieurs mètres devant eux, soit dans une position éloignée et surélevée. Pour la première fois, cette technique a été couplée à une technique de neuro-imagerie par IRMf afin d’enregistrer l’activité cérébrale durant l’illusion induite. Ionta et Olaf Blanke, directeur du laboratoire, ont demandé à des volontaires sains de s’allonger sur un lit équipé d’un appareil robotique d’effleurement. Le patient, portant des lunettes à 3D projetant l’image enregistrée d’une personne vue de dos à peu de distance de lui, a ensuite été placé dans la machine d’IRM. Pour provoquer l’illusion, les chercheurs ont utilisé un dispositif robotique qui effleurait le dos du patient exactement au même moment où le corps dans l’univers virtuel était caressé, ce qui faisait croire à l’esprit du patient que l’image du corps projeté devant lui était celle de son propre corps, créant ainsi une illusion de perception corporelle.
La jonction temporo-pariétale
Les résultats montrent que lorsque le volontaire est suffisamment piégé pour signaler qu’il se sent loin de son propre corps, l’activité dans la région cérébrale où les lobes temporaux et pariétaux se rencontrent est plus faible que lorsqu’il indique se sentir proche de son corps. Lukas Heydrich, du Laboratoire de neurosciences cognitives de l’EPFL, qui vient d’achever l’étude de neuf patients neurologiques connaissant des expériences extracorporelles, a découvert qu’ils présentaient des dommages cérébraux également localisés dans la JTP. Ces constats étayent l’hypothèse déjà avancée par Blanke selon laquelle les dommages dans cette région sont impliqués dans les EEC.
«Outre la sécurité qu’il faut assurer, une des principales difficultés de l’utilisation d’un dispositif robotique dans un environnement IRM tient à ce qu’il ne doit pas perturber l’imagerie», explique Roger Gassert, qui travaillait au Laboratoire de systèmes robotiques de l’EPFL à l’époque de l’étude, et dirige désormais le Laboratoire d’ingénierie de la réhabilitation de l’EPFZ. En protégeant les câbles, en filtrant les signaux et en éloignant autant que possible les moteurs de l’aimant, sa contribution a «ouvert tout un nouveau champ de possibilités permettant de commander les stimulations visuo-tactiles».
Bien que représentant une avancée majeure et le point culminant de plusieurs années de travail, cette publication dans Neuron n’est pas le passe-partout qui déverrouillera les mystères du cerveau et de la conscience de soi. Comme la science neurobiologique en général, Blanke avance prudemment et pas à pas vers une compréhension plus poussée du cerveau. L’approche novatrice de son équipe, consistant à induire des illusions afin de mieux comprendre le cerveau et les troubles connexes, ne manquera pas de se préciser encore et de s’axer davantage sur la technologie. C’est avec cette rigueur méthodologique que le mystère de l’origine de la conscience de soi pourrait être un jour dévoilé.