Réconcilier énergie solaire et conservation du patrimoine

Maria Cristina Munari Probst a développé une banque d’images permettant d’identifier les bons et les mauvais usages des panneaux solaires. © Alain Herzog 2016

Maria Cristina Munari Probst a développé une banque d’images permettant d’identifier les bons et les mauvais usages des panneaux solaires. © Alain Herzog 2016

Une méthode développée à l’EPFL permet d’évaluer l’impact esthétique des installations solaires sur les bâtiments et de fixer des critères objectifs d’acceptabilité en fonction de leur emplacement. Des villes romandes pourraient l’appliquer dès 2017. Les auteurs du projet viennent de recevoir le Prix de l’Innovation de l’Année en Suède.

«Nous souhaitons montrer que l’intégration du solaire est possible, même dans les environnements délicats, pour autant que les efforts suffisants soient faits en termes de design et de coût. Si ces investissements ne peuvent être consentis, il peut être préférable de repousser l’opération. Les intégrations de mauvaise qualité finissent en effet par décourager les utilisateurs potentiels d’énergie solaire. A contrario, bien réalisés, de tels exemples peuvent être parmi les éléments moteurs du développement du solaire, remboursant largement leur léger surcoût», explique Maria Cristina Munari Probst, architecte au Laboratoire d’énergie solaire et physique du bâtiment (LESO-PB).

Avec son confrère Christian Roecker, ingénieur, Maria Cristina Munari Probst a développé une méthode simple d’utilisation destinée avant tout aux autorités communales et cantonales en charge d’évaluer la planification et l’acceptabilité des installations solaires. Son but? Prendre en compte les contraintes architecturales locales, à l’instar des centres historiques, lors de la pose de panneaux solaires sur les bâtiments existants. La méthode a ainsi l’ambition de réconcilier les défenseurs du patrimoine et ceux des énergies renouvelables. Ses auteurs ont remporté l’«Innovator of the Year Award» (prix de l’innovateur de l’année) en Suède, le 16 novembre dernier.

«Actuellement, on a tendance à poser des panneaux en faisant abstraction de leur intégration au bâtiment existant», observe l'architecte. «Nous avons présenté notre méthode aux délégués à l’Energie des cantons romands et à ceux du Patrimoine romands et tessinois, en avril et octobre derniers. Ces échanges nous ont permis de l’affiner et de vérifier que les soucis de chaque partie étaient réellement pris en compte.» Les résultats de ces consultations sont posititifs: selon les chercheurs, la méthode intéresse déjà plusieurs municipalités et pourrait être appliquée dès l’année prochaine.

Concept de «criticité architecturale»

Maria Cristina Munari Probst et Christian Roecker ont baptisé leur méthode «LESO-QSV» (QSV pour Qualité-Sensibilité-Visibilité). Elle se base sur le concept novateur de «criticité architecturale» des surfaces urbaines. Celle-ci évalue le degré d’acceptabilité de panneaux solaires en fonction de la Sensibilité du contexte urbain dans lequel ces surfaces se trouvent et de leur Visibilité depuis le domaine public.

Plus la «criticité» d’une surface est haute, à l’exemple d’une façade d’un bâtiment historique très visible depuis l’espace public, plus on demandera une haute qualité d’intégration des panneaux solaires et, donc, un travail soigné. Inversement, le toit plat d’une usine située dans une zone industrielle obtiendra une «criticité» moins élevée et, ainsi, aura des exigences d’intégration architecturale plus faibles. 

Une intégration de qualité est toujours souhaitable, selon les chercheurs. Elle n’est toutefois pas toujours cruciale. «Dans le souci d’augmenter l’utilisation de l’énergie solaire, les attentes peuvent être réduites de façon ciblée, là où le besoin de qualité est moins important, par exemple dans des zones industrielles ou commerciales à faible qualité architecturale, ou pour des surfaces peu visibles comme certaines toitures plates ou à très faible pente», précise Maria Cristina Munari Probst.

Critères objectifs

Exiger un certain niveau de qualité d’intégration nécessite de pouvoir évaluer la qualité sur des bases objectives. Bien que la perception esthétique soit souvent considérée comme subjective, les études récentes menées par les chercheurs ont confirmé l’existence de critères clairs, permettant d’établir la qualité architecturale d’une intégration. La méthode LESO-QSV propose ainsi d’évaluer la qualité d'une installation solaire à l’aide de trois critères simples et objectifs portant sur la géométrie, la matérialité, et la trame modulaire du projet. Ces critères permettent d’évaluer la cohérence architecturale globale de l’installation. Un système à base de cercles colorés représente les résultats des évaluations. Une «grille de criticité» identifie neuf situations différentes (voir image ci-dessus), pour lesquelles les autorités fixeront leurs exigences de qualité, en prenant en compte les spécificités locales.

Logiciel pédagogique

Pour aider les autorités à fixer leurs exigences de qualité, la méthode LESO-QSV fournit un logiciel (QSV grid)qui montre l’impact de différentes «grilles» d’exigences d’acceptabilité sur plus de 100 bâtiments existants. Ces installations solaires, souvent situées en Europe, sont aussi fournies comme modèles sur la façon d’évaluer objectivement la qualité. Cette banque de données constitue une importante collection d’exemples qui a pour but d’inspirer les architectes, les installateurs et les propriétaires privés. Son contenu est évolutif et sera nourri par les cas les plus emblématiques traités par les communes et commissions qui utiliseront la méthode.

Usage proactif 

La méthode propose aussi un outil proactif. Celui-ci réalise une carte de la «criticité architecturale» des surfaces d’une ville donnée, répertoriant les surfaces les plus visibles et les plus sensibles. L’outil permet ensuite de superposer cette carte à la carte d’irradiation solaire de la ville qui, pour sa part, en identifie les surfaces les plus ensoleillées. Il devient ainsi plus aisé pour les autorités de fixer des priorités d’intervention et de planifier des subsides intelligemment. Les chercheurs ont baptisé ce système «QSV Crossmapping».

A l’heure actuelle, la méthode est utilisée dans le cadre des activités de la Task 51 de l’Agence Internationale de l’Energie «Solar Energy in Urban Design», ainsi que comme base fondamentale de l’enseignement dans trois cours dispensés actuellement à l’EPFL et à l’Université IUAV de Venise. Un étroit échange a aussi récemment été mis en place avec le projet de planification solaire novatrice actuellement à l’étude dans la ville de Carouge sous la direction de l’Office Fédéral de la Culture, en collaboration avec le Canton de Genève.

A partir de 2020, en Europe, tout nouveau bâtiment devra être équipé en majorité d’énergies renouvelables. Etablir une planification énergétique stratégique devient donc urgent pour les communes. Les chercheurs espèrent donc que leur méthode permettra à l’avenir un usage plus conscient et plus avisé de l’énergie solaire.

  • Maria Cristina Munari Probst présentera cette recherche à l'EPFL lors du LESO Lunchtime du 2 décembre 2016, de 12h15 à 13h00, Bâtiment SG,salle 0213. La présentation est publique et gratuite et sera suivie d’un apéritif.

Références:

  • M. C. Munari Probst and C. Roecker. Solar energy promotion and Urban context protection: LESO-QSV Tool (Quality-Site-Visibility). PLEA 2015, Bologna, Italy, September 9-11, 2015.
  • M. C. Munari Probst, J.-L. Scartezzini (Dir.). Architectural integration and design of solar thermal systems. Thèse EPFL, n° 4258 (2008)
  • M. C. Munari Probst and C. Roecker, E. P. F. L. Press and D. by Routledge (Eds.). Architectural Integration and Design of Solar Thermal Systems. EPFL Press - Routledge Taylor & Francis Group, Lausanne, 978-0-415-66791-3, 2011.
  • M. C. Munari Probst and C. Roecker editors, Solar Energy Systems in Architecture - Integration criteria and guidelines , T.41.A.2- IEA TASK 41 Solar Energy and Architecture, 2013.