Quand les mouvements trahissent les douleurs
Montre-moi comment tu bouges, je te dirai combien tu souffres. Il est difficile d’estimer l’intensité d’une douleur chronique, elle est subjective. Des chercheurs de l’EPFL ont développé le premier outil d’évaluation de la douleur basé sur les mouvements quotidiens.
Les mouvements sont les meilleurs témoins de notre santé. Lorsque tout va bien nous bougeons constamment, lorsque nous souffrons, nous réduisons notre activité physique. Le constat peut sembler trivial, mais il a donné lieu à une démarche originale pour quantifier objectivement la douleur chronique. L’équipe du Laboratoire de mesure et d’analyse du mouvement de l’EPFL (LMAM), a développé un outil visuel, pratique et ingénieux afin d’assister les médecins dans leur diagnostic.
«Le mouvement est un marqueur objectif de la douleur. Vous ne bougez pas de la même manière si vous êtes en pleine santé ou si vous souffrez explique Anisoara Ionescu. Il est important pour les médecins de l’évaluer le plus précisément possible.» Grâce aux données récoltées par des capteurs posés sur différents endroits du corps, explique-t-elle, ils peuvent quantifier la souffrance, suivre les progrès et adapter le traitement. La chercheuse publie ses résultats dans Plos One du 23 février.
D’ordinaire, les médecins cherchent à évaluer les douleurs chroniques au travers d’une discussion approfondie et à l’aide de questionnaires-types. Cette méthode donne une image trop statique de l’état du patient - ce jour-ci, à cette heure-là.
D’autres paramètres sont également à prendre en compte. Il y a les aspects subjectifs - sur une échelle de 0 à 10 nous n’estimons pas tous la douleur de la même manière – mais aussi des aspects, certains patients ne peuvent simplement pas décrire leur douleur avec suffisamment de précision - les personnes ayant des problèmes cognitifs ou les enfants.
Le mouvement comme indicateur
Des personnes bien-portantes et des dizaines de patients souffrant de douleurs chroniques ont été équipés de capteurs. Munis d’accéléromètres et de gyroscopes, ces senseurs positionnés sur la poitrine, près du genou et à la cheville, enregistrent tous les mouvements ainsi que les phases de repos. En comparant les résultats, on constate de grandes disparités. Les malades ne se meuvent pas de la même manière. Ils ponctuent notamment leurs périodes de mobilité par de nombreux moment de repos. Grâce à ce nouvel outil, il est possible d’enregistrer des informations sur plusieurs jours avant, pendant et après un traitement. En juxtaposant les résultats, on obtient une indication précise des changements dans les activités quotidiennes d’un patient.
Eric Buchser, professeur à l’hôpital de Morges, fonde de grands espoirs dans cette recherche : « il y a une différence de comportement entre malades chroniques et bien portants, c’est certain. Mais nous ne sommes qu’au début de la récolte de données. Nous devons encore la compléter et avoir des valeurs de références également entre patients.»
La douleur dans tous ses états
Cela fait 10 ans que le LMAM collabore avec le département d’anesthésie et d’antalgie de l’hôpital de Morges d’Eric Buchser. « Les premières recherches se sont focalisées sur la douleur aigüe avant de se pencher sur la forme plus lancinante qu’est la douleur chronique mais il nous manque des informations objectives sur l’intensité de cette douleur.»
Marcher, courir, s’assoir, se coucher sont autant d’indicateurs objectifs. Les chercheurs ont défini 18 états d’activité : son type, son intensité, sa durée mais aussi l’aspect temporel - comment les activités sont organisées dans le temps.
Ils ont ensuite poussé leur réflexion afin de développer un outil facile à utiliser au quotidien par les médecins. Des barres de couleurs, qui permettent d’embrasser d’un coup d’œil la situation d’un patient, son évolution ou l’effet d’un traitement. Eric Buchser fonde de grands espoirs sur cette approche: « à terme le médecin pourra se servir de ce “code-barres” de l’activité physique comme assistant au diagnostic pour mieux cibler le traitement, vérifier ses effets et l’adapter au fil du temps.»