Quand la pensée prend le contrôle des machines

© Alain Herzog / EPFL 2013

© Alain Herzog / EPFL 2013

Plus de cent patients souffrant de handicaps moteurs sévères ont participé volontairement au développement d’interfaces cerveau-machine non invasives destinées à leur permettre de recouvrer une certaine mobilité ou d’améliorer leurs relations sociales. Trois démonstrations ont été présentées aujourd’hui à Sion dans le cadre du séminaire de clôture du programme de recherche européen TOBI (www.tobi-project.org), piloté depuis un peu plus de quatre ans par l’EPFL.


Il n’est pas rare qu’une victime d’accident vasculaire cérébral ou d’une autre atteinte perde partiellement ou complétement le contrôle d’un ou plusieurs de ses membres. Dans les cas les plus graves, le sujet peut se retrouver intégralement paralysé et avoir besoin d’assistance permanente.

Financé par la commission européenne dans le cadre du 7e programme-cadre de recherche (FP7) et piloté par l’EPFL, le projet TOBI (Tools for brain-computer interaction) s’est concentré depuis 2008 sur l’exploitation des impulsions produites par le cerveau. Recueillis par électro-encéphalographie (EEG) grâce à des électrodes placées dans un bonnet, les motifs cérébraux perceptibles lorsque le sujet se concentre sur une tâche particulière, comme par exemple lever un bras, peuvent être analysés par un ordinateur et transformés en une action concrète telle que le déplacement d’un curseur sur un écran.

Des tests impliquant plus de 100 patients
Sur cette base, les chercheurs actifs auprès des treize institutions et partenaires du projet TOBI ont développé diverses technologies visant soit à obtenir de meilleurs signaux, soit à les rendre plus clairs, soit à les traduire en applications utiles et fonctionnelles. Au cours des recherches, plus de 100 patients ou utilisateurs souffrant de handicap ont eu l’opportunité de se prêter à des tests. Trois technologies développées dans le cadre de TOBI ont été présentées publiquement lors du séminaire de clôture du programme de recherche, du 23 au 25 janvier 2013 à Sion.

  1. Robotino, pour reconstruire des liens sociaux lorsqu’on est cloué au lit. En associant l’électroencéphalographie, la reconnaissance de signaux, des capteurs d’obstacles et internet, les chercheurs ont développé un petit robot doté d’une caméra et d’un écran, pouvant être commandé à distance par des personnes physiquement handicapées. Grâce à ce robot, le patient peut virtuellement se promener dans un environnement familier, rencontrer les siens et dialoguer avec eux, même s’il est à des milliers de kilomètres de là.
  2. Braintree, pour composer des textes et naviguer sur internet. Les chercheurs ont également développé une interface graphique particulièrement adaptée à la navigation pour des personnes souffrant de handicap sévère. Par la pensée, le patient déplace un curseur dans une structure arborescente afin de parvenir rapidement au caractère ou à l’action souhaitée. Si la situation le permet, des capteurs d’impulsions musculaires – même infimes – peuvent être utilisés de façon complémentaire.
  3. Stimulation électrique fonctionnelle, pour rétablir une certaine mobilité. Coupler un EEG avec des électrodes stimulant les muscles peut permettre à un patient de contrôler volontairement le mouvement d’un membre après un accident vasculaire cérébral. Dans certains cas, un entraînement intensif avec ce dispositif a permis aux patients de reprendre le contrôle d’un membre paralysé et de le conserver même sans assistance. Cette expérience est décrite dans la vidéo ci-dessus.

Porteurs d’espoirs pour de nombreux patients, les résultats du programme de recherche TOBI serviront de base à des développements ultérieurs, menés parmi les partenaires ou dans l’industrie. Pour l’EPFL, ils seront au cœur de l’attention des chaires de recherche dédiées à la santé du nouveau Pôle EPFL Valais Wallis, qui pourra compter sur la participation et l’appui de la clinique de réhabilitation SUVAcare, à Sion.

« Nos résultats sont d’ores et déjà très prometteurs », se réjouit José del R. Millán, professeur au Centre de neuroprothèses (CNP) de l’EPFL, titulaire de la Chaire Defitech en interfaces cerveau-machine non invasives et coordinateur du projet TOBI. Qui nuance: « La route est encore longue jusqu’à ce que des produits “clef en main” puissent être mis à la disposition des médecins et des patients, précise-t-il. Chaque cerveau ayant sa manière propre d’envoyer des impulsions, la calibration des dispositifs demande toujours d’importants moyens. Nous avons toutefois posé des jalons essentiels pour une nouvelle approche de la réhabilitation physique et sociale des patients. »