Prévoir l'imprévisible

© 2005 Brienz Creative Commons

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Les chercheurs de l’EPFL viennent de développer le premier système d’alerte précoce pour les glissements de terrain. Les «early warning» existent notamment pour d’autres catastrophes naturelles comme les tsunamis et les tornades.

Un pays montagneux comme la Suisse est régulièrement confronté à des glissements de terrain. Environ 6 % de sa superficie totale comprend des pentes instables. Sous l’effet du changement climatique il faut aussi s’attendre à ce que ces événements deviennent de plus en plus fréquents. La combinaison entre un accroissement des précipitations et la fonte des glaciers risque d’augmenter la quantité d’eau, pouvant potentiellement déclencher des glissements de terrain dans de nouveaux secteurs.

John Eichenberger, du Laboratoire de mécanique des sols (LMS), a travaillé pendant 4 ans sous la direction du Prof. Lyesse Laloui au développement d’un outil de calcul permettant de reproduire le comportement des fortes pentes sous l’effet de précipitations considérables. Des recherches ont été menées en laboratoire et sur le terrain, notamment sur les pentes du Rhin où il a couplé des capteurs à un modèle informatique. Celui-ci détecte avec précision quand l’état de saturation du sol devient inquiétant et permet de lancer une alerte précoce.
Toutes ces données qui ont été récoltées donnent les informations indispensables pour protéger la population d’une région de montagnes comme la Suisse. Les chercheurs étudient également d’autres endroits sur la planète qui présentent des sols de nature très différente comme les pentes abruptes d’un volcan au Costa-Rica.

Quand l’eau s’infiltre
Il est extrêmement difficile de prévoir l’intensité d’un glissement de terrain.
Les scientifiques en distinguent deux types. Les glissements de grande profondeur se déplacent lentement, de l’ordre de quelques millimètres par année ou par siècle. Ils sont connus et souvent placés sous surveillance. «En fonction de la vitesse on peut déterminer si la situation devient critique mais en aucun cas on ne saurait le prévoir,» explique le chercheur.

Les glissements de surface, à quelques mètres seulement de profondeur sont les plus difficiles à prédire. Jusqu’à présent, il était quasi impossible de les anticiper. Ils sont inattendus et présentent des vitesses élevées de l’ordre du mètre, voire de plusieurs mètres par seconde. C’est sur ce problème spécifique que le doctorant s’est penché. «En général, un terrain à forte pente reste stable grâce aux effets capillaires, c’est-à-dire grâce à la succion qui agit entre les grains. Des effets qui sont perdus lors de l’infiltration de l’eau de pluie.»

Inspiré des alertes tsunamis
Comment déterminer le moment où il faut procéder à une évacuation, en sachant que les prévisions météorologiques ne suffisent pas? C’est l’objet de la thèse lancée par Lyesse Laloui, directeur du LMS : «je me suis inspiré des alertes de tsunami. Il fallait coupler le modèle déterministe qui s’appuie sur les mécanismes physiques, avec un modèle probabiliste, basé sur un réseau de neurones. Car d’autres paramètres, comme les variations climatiques, viennent compliquer la chose. Ce sont des données que l’on ne connait pas.»

Du projet de recherche au cas appliqué
En 2009, les chercheurs gorgent d’eau les pentes du Rhin à Rüdlingen. Pour ce projet, grandeur nature, de déclenchement artificiel d’un glissement de terrain, le sol est largement instrumenté, criblé de capteurs. Après 15 h d’infiltration, la rupture se produit à 3h du matin. 150 mètres cubes de terrain glissent dans un filet de protection et valident le modèle!

Le système d’alerte précoce des glissements de terrain développé au laboratoire de l’EPFL est aujourd’hui appliqué au Costa-Rica. Il est indispensable d’assurer la stabilité de la plus grande mine de Pozzolana d’Amérique Latine qui se trouve sur les pentes du volcan Irazu.
En 2005, des coulées de boues ont fini leur course dans cette mine. La production a été stoppée sans savoir à quel moment l’activité pourrait reprendre en toute sécurité. Les cendres volcaniques présentent des caractéristiques particulières, des échantillons ont été testés dans le laboratoire de l’EPFL afin d’adapter le modèle à la qualité du sol.

L’aménagement du territoire en question
Les glissements de terrains sont intimement liés à l’aménagement du territoire et vice et versa. Si les catastrophes sont ponctuelles en Suisse, d’autres régions du monde comme Hong-Kong doivent y faire face régulièrement. Les constructions ne peuvent se confronter indéfiniment à la nature. «Notre outil est une aide à l’aménagement du territoire en indiquant précisément les endroits dangereux.», conclue le professeur.