Prévenir la cristallisation pour améliorer les médicaments

© 2015 EPFL/Jamani Caillet

© 2015 EPFL/Jamani Caillet

Des chercheurs de Harvard et de l’EPFL ont inventé un processus pour rendre des particules amorphes. Une avancée qui intéresse grandement l’industrie pharmaceutique.

«Les compagnies pharmaceutiques refusent chaque année de nombreux médicaments dès les premiers stades de développement, car leur faible solubilité ne leur permet d'être suffisament assimilés par le corps humain.», explique Esther Amstad. En collaboration avec une équipe de l’université d’Harvard, la chercheuse a mis au point un procédé qui rend ces particules plus hydrosolubles. Les résultats, publiés dans la prestigieuse revue Science, sont encourageants: «Avec cette technique, nous sommes en mesures d’augmenter la solubilité de ces molécules par un facteur 10.»

Comment est-ce possible? La plupart des composés de médicaments ont des structures cristallines, c’est-à-dire que les molécules sont arrangées d’une façon très régulière. Les médicaments seraient plus solubles si les molécules étaient disposées de façon aléatoire; ces particules seraient alors considérées comme «amorphes». Le défi d’Esther Amstad a été de trouver un moyen de prévenir le phénomène de cristallisation de ces médicaments.

Deux fois la vitesse du son
«Il faut imaginer que les molécules vont naturellement se grouper sous une forme cristalline. La méthode mise au point pour supprimer ce processus est très innovante», explique Esther Amstad. Dans les faits les cristaux sont dissous dans une solution d’éthanol. Un nébuliseur, développé spécialement pour générer des nanoparticules, crée ensuite de minuscules gouttes dans un flux d’air atteignant les 600 mètres par seconde (soit près de deux fois la vitesse du son). Les gouttes sont propulsées dans des tuyaux d’une longueur de 2 cm et de l'épaisseur d'un cheveu. Grâce à la vitesse de ce vent artificiel, les gouttes d'éthanol sont évaporées si rapidement que les molecules n'ont pas assez de temps pour se réarranger sous une forme cristalline. De plus, étant donnée leur taille très réduite, ces particules se dissolvent rapidement, facilant d'autant plus leur assimilation par le corps.

Cette technique de production de nanoparticules amorphes n’est pas encore industrialisable. Pour le moment la transformation de 5 milligrammes de cristaux dure une heure. Néanmoins les applications sont nombreuses, particulièrement en pharmacologie. L’augmentation de la solubilité des médicaments signifie que le corps sera capable d’absorber plus de principes actifs, ce qui permettra donc de réduire la quantité nécessaire d’un médicament pour agir contre une pathologie donnée. Un principe qui pourrait également permettre de diminuer la quantité d’additifs utilisés dans l’industrie alimentaire.

Combattre la pollution de l’eau
L’un des effets bénéfiques imprévus de cette avancée scientifique serait de diminuer la pollution de l’eau par les médicaments. En effet, grâce à leur solubilité plus élevée, ces nouveaux médicaments composés de particules amorphes seront davantage assimilés par l’organisme. Ceci limiterait la quantité de principes actifs rejetés à travers les urines qui finissent par atteindre certains lacs ou nappes phréatiques. «Bien que cela n’était pas le but initial du projet, cela pourrait constituer une externalité positive tout à fait intéressante.», commente Esther Amstad.

Ce processus de prévention de la cristallisation mis au point par la diplômée d’ETH de Zurich pourrait avoir des perspectives très intéressantes pour la recherche fondamentale. «Grâce à ce procédé nous pourrons rendre amorphes différentes matériaux, pour étudier leurs propriétés magnétiques ou optiques.» Pour le moment, Esther Amstad et son équipe utilisent cette méthode pour mieux comprendre la cristallogenèse. Les premières étapes de ce phénomène sont très difficiles à étudier tant il est rapide. A tel point que le processus de cristallisation du matériau inorganique le plus répandu, le carbonate de calcium (CaCO3), présent dans les coquilles ou dans la craie, n'est pas encore compris. Jusqu'à quand?

Cette recherche, publiée le 28 août dans Science, a été financée par BASF à travers le North American Center for Research on Advanced Materials (NORA), dirigé par le Dr. Marc Schroeder. Outre Esther Amstad (EPFL et Harvard), les chercheurs suivants y ont participé: Manesh Gopinadhan (Yale), Chinedum O. Osuji (Yale), Michael P. Brenner (Harvard), Frans Spaepen (Harvard) et David A. Weitz (Harvard).


Auteur: Alexandre Babin

Source: EPFL