Premiers pas dans la «littérature potentielle 2.0»

© Alain Herzog / EPFL

© Alain Herzog / EPFL

Une application réalisée dans le cadre d’une thèse au Laboratoire d’humanités digitales de l’EPFL propose de recomposer des œuvres littéraires en modifiant l’ordre des chapitres. La simulation humaine, une saga de l’écrivain suisse Daniel de Roulet dont le dixième et dernier tome paraît aujourd’hui, sert de base pour cette expérience.

Il y avait déjà les Cent mille milliards de poèmes, ce livret de Raymond Queneau où le lecteur compose des sonnets dont chaque vers peut être choisi parmi dix propositions. Depuis aujourd’hui, il y a aussi La simulation humaine en version numérique. Un projet conjoint du Laboratoire d’humanités digitales de l’EPFL (DH Lab), dirigé par Frédéric Kaplan, et de l’écrivain suisse Daniel de Roulet, qui propose de nouveaux parcours de lecture à travers une œuvre fleuve – dix romans – explorant 75 ans d’histoire nucléaire entre le Japon, l’Ukraine et les Etats-Unis.

Présenté sous la forme d’une application gratuite pour mobile, tablette ou ordinateur, La simulation humaine propose la lecture, sous une forme soignée et dynamique, de dix ouvrages différents. Du moins en apparence. Tous sont en effet basés sur un même corpus: les 297 chapitres de la saga du même nom, écrite entre 1990 et 2014 par Daniel de Roulet et dont le dernier tome, Le démantèlement du cœur, paraît aujourd’hui. «On retrouve certains personnages et certains thèmes tout au long de la saga; les chapitres peuvent donc avoir assez d'éléments en commun pour qu’il soit possible de les lire dans un autre ordre que celui de la publication», explique l’écrivain. C’est ainsi qu’il a pu «recomposer» six nouvelles et trois romans, de longueurs variables (d’un seul à 38 chapitres), puisant leur matière parmi les dix livres de la saga. La dernière recomposition, La simulation totale, rassemble l’intégralité de l’œuvre.

Pour ce travail, l’auteur a veillé – intuitivement, explique-t-il – à assurer une cohérence à chacun des «nouveaux» récits proposés dans l’application. «Grâce à une analyse algorithmique du texte, nous ambitionnons pouvoir formaliser le processus d'écriture, et éventuellement parvenir à le synthétiser, explique Cyril Bornet, doctorant au DH Lab et auteur de l’application rendue publique aujourd’hui. La saga de Daniel de Roulet constitue à cet égard un excellent terrain d'expérimentation narrative.»


Séquence des focalisations narratives de La simulation humaine. © Cyril Bornet - DH Lab - EPFL

Zapper même en lisant
L’intérêt des recherches menées par le DH Lab sur la narration dépasse la seule «recomposition» d’œuvres existantes. Elles visent aussi à prendre en compte l’évolution des habitudes des lecteurs, qui préfèrent aujourd’hui des intrigues courtes aux longues trames narratives. «C'est une tendance qui n'est pas limitée à la littérature fictionnelle, nous pouvons l'observer dans une multitude de domaines», estime Cyril Bornet.

Iconoclaste, cette approche ? Daniel de Roulet avoue avoir été «surpris par la façon dont les chercheurs du DH Lab empoignent la matière littéraire comme un simple objet mathématique, sans beaucoup de respect pour les affres de l’écriture traversées par l’auteur…» Mais cela ne l’a pas empêché de s’enthousiasmer pour le projet et d’y participer très activement.

Dans le cadre de sa thèse, Cyril Bornet veut «analyser, grâce à des outils informatiques, comment les médias numériques transforment la façon dont les œuvres sont écrites, explique-t-il. Les nouveaux médias donnent aux lecteurs un rôle d'acteurs. Ils peuvent partager leurs impressions et leur compréhension de l'œuvre, mais il est aussi possible de savoir quels sont les passages les plus lus, l'ordre de lecture des histoires, etc. »

Autant d’informations qui peuvent être recueillies systématiquement via les médias numériques – et qui participeront peut-être à une réinvention du métier d’écrivain.



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© Cyril Bornet - DH Lab - EPFL
© Cyril Bornet - DH Lab - EPFL

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