Plus loin que l'Open Access
“Experimental investigation of electrical domestic heat pumps equipped with a twin-stage oil-free radial compressor” est la première thèse publiée sous licence Creative Commons (CC) à l’EPFL. Après plusieurs années de recherche, Jean-Baptiste Carré rend en 2015 l’ensemble de son travail de doctorat accessible sous licence CC BY et prouve les nombreux avantages de ces licences pour la recherche et le chercheur.
Interview
Ingénieur mécanicien, J.-B. Carré est diplômé de l’École d’ingénieurs Arts et Métiers ParisTech. Il décide de poursuivre ses recherches à l’EPFL, lesquelles portaient sur le développement de machines dans le domaine de l’énergie.
Quel était votre sujet de thèse à l’EPFL ?
Le Laboratoire d’Energétique Industrielle (LENI) développait depuis les années 2000 un nouveau cœur pour des machines qui permettent de chauffer nos maisons d’une manière plus respectueuse de l’environnement. Ma thèse de doctorat, réalisée en collaboration avec l’industrie suisse, avait pour objectif d’intégrer ce nouveau cœur dans des machines existantes ou pré-industrialisables. Les produits développés sont destinés à être commercialisés sur le marché des machines de chauffage pour maison.
Pourquoi avoir licencié votre thèse sous Licence CC ?
J’utilisais les logiciels libres et les licences libres dans mes loisirs. Je voulais que ma thèse, ainsi que tout ce que j’allais développer comme figures, données, graphiques, etc. soient réutilisables par tous et que mes codes puissent être portés sur des logiciels et librairies open source.
La science doit pouvoir être diffusée, critiquée, et reproductible. Le meilleur moyen était de tout libérer sous une licence n’imposant que la mention de mon nom comme auteur.
Quelles contraintes avez-vous rencontrées ?
- Dans mon manuscrit de thèse, je ne pouvais pas mettre de figures tirées d’articles scientifiques. J’ai donc dû refaire les figures à partir des données ou encore demander à mes collègues de libérer leurs photos sous licences CC.
- La thèse étant financée par l’industrie, comment gérer la confidentialité et la réutilisation de mon travail par cette dernière ? J’ai considéré que tous les éléments confidentiels appartenaient à l’entreprise et que c’était donc à eux de décider ce qui pouvait devenir public ou pas. En revanche, tout ce qui a servi à réaliser la thèse (les codes, les sources LaTeX, les scripts, les données, les figures, les photos, etc.) sont sous licence CC BY ou GPL. Dans ma thèse, il n’y a pas les plans exacts des machines développées afin de ne pas divulguer d’éléments stratégiques pour l’entreprise, mais tout le contenu qui concerne les aspects scientifiques est présent.
- Un travail transparent implique de la rigueur. Si je veux qu’il soit réutilisé, il faut qu’il soit compréhensible et documenté. C’est une contrainte, car c’est du temps à investir. Mais c’est un devoir éthique pour un chercheur et publier ma thèse sous licence CC va dans ce sens.
Quels sont les avantages de publier en licence CC ?
- Le premier avantage est un avantage éthique. Je me sens à l’aise dans mon travail. Tout est ouvert, peut être reproduit et vérifié.
- Je peux modifier des éléments de ma thèse au fil du temps et apporter des corrections librement. La version de la thèse validée par mes pairs est la version 1.0.2. Tant que la version 1.1 de ma thèse n’est pas atteinte, la version déposée sur Authorea ou Github est compatible avec celle soumise au jury de thèse. Les développements techniques engagés pour cette thèse coûtent cher. Je préfère libérer les choses et les rendre accessibles plutôt que de garder des droits qui vont contraindre les gens à contourner ce que j’ai fait de manière plus ou moins légale.
- Si mon travail est facile à réutiliser et qu’il est facile de capitaliser dessus, j’ai plus de chance, scientifiquement parlant, que quelqu’un comprenne ce que j’ai fait et qu’il me cite dans un autre travail ou qu’il réutilise ce dernier.
Pourquoi ne pas avoir mis de clause non commerciale à votre thèse ?
Je pense que le changement dans le monde se fait malheureusement par l’économie. Je préfère que les développements auxquels j’ai contribué soient utiles à l’humanité d’une manière ou d’une autre. Si une petite société au Cameroun veut réutiliser mes idées, ou tout autre élément diffusé dans mon travail de thèse, j’ai envie qu’elle puisse les utiliser sans que cela pose des problèmes légaux. De même, si un professeur veut utiliser mon travail dans un livre ou un cours, je veux qu’il puisse le faire facilement.
Qu’en pensait votre directeur de thèse ?
Il n’était pas contre du moment que les licences CC sont compatibles avec les conditions de publication de l’EPFL. Cela peut toutefois être différent dans d’autres laboratoires où les sujets de recherche sont plus faciles à reproduire par des laboratoires concurrents. Dans ce cas de concurrence scientifique stérile, il est possible que des professeurs s’opposent à la diffusion et la réutilisation des contenus, données, etc. Fort heureusement, mon directeur de thèse était dans une optique d’ouverture et de diffusion des savoirs.
Pourquoi avoir déposé votre thèse sur Authorea?
Authorea est une plateforme d’écriture collaborative sur laquelle il est possible de commenter et d’ouvrir des discussions sur ma thèse. Cet aspect-là est intéressant parce que j’aime le fait qu’on puisse augmenter la connaissance à tout moment et qu’il y ait un espace public pour en débattre.
Diffuser le savoir le plus possible, amener les gens à avoir des bases de connaissances leur permet de s’émanciper. Grâce à Authorea, tout un chacun, et notamment les chercheurs de l’EPFL prenant la suite de mon travail, peuvent poser des questions sur des passages manquant de clarté, critiquer les conclusions ou le travail effectué.
Quels sont vos projets ?
Je travaille à la Haute Ecole d’Ingénieurs d’Yverdon. Je collabore sur des projets liés à des technologies connexes à celles développées dans ma thèse, en collaboration avec l’EPFL. Les données que je générais lors de ma thèse étaient pour mon propre usage. Maintenant je travaille avec d’autres personnes, lesquelles ont besoin d’utiliser ces documents pour leurs recherches. Cela implique de mettre en place d’autres processus de travail, qui vont bien au-delà des licences et qui demandent de bonnes pratiques pour pouvoir collaborer. C’est un aspect que j’aime pousser dans ce que je fais aujourd’hui, et les aspects licence et réutilisation sont centraux dans cette approche.
Une licence de site Authorea à l’EPFL
Né au CERN, Authorea est un outil créé par des chercheurs pour les chercheurs. Il permet de rédiger un document à plusieurs simultanément, de citer facilement ses sources, de garder un historique (basé sur Git) de toutes les modifications apportées au document et de revenir à une version précédente à tout moment. Authorea permet aussi de pré-formater votre article pour plusieurs éditeurs (IEEE, Elsevier, PLoS, Science, Nature, Springer, BioMed Central, etc.). L’EPFL possède une licence vous permettant de bénéficier d’un compte Premium, lequel vous permet de garder privé un nombre illimité d’articles (accès aux auteurs uniquement).
Quelques chiffres
2013: naissance de la plateforme
50’000: utilisateurs actifs, 126 comptes EPFL
3'300 articles créés (dont 1'300 articles publics)
Challenge
Avez-vous déjà libéré du contenu sous licence ou logiciel libre dans le cadre de votre travail ou de vos loisirs ?
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Plus d’informations sur : http://go.epfl.ch/M8
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L'ensemble de l'article ainsi que la photographie sont disponibles sous licence CC BY.