Mesurer la concentration de médicaments dans le sang

© 2015 EPFL/Alain Herzog

© 2015 EPFL/Alain Herzog

Soigner un patient de façon personnalisée implique, lors de certains traitements critiques, de pouvoir contrôler la concentration de substance active dans le corps. A l'EPFL, des chercheurs présentent un nouveau procédé rapide et portatif pour mesurer le taux de médicament dans le sang. Médecins et entreprises pharmaceutiques ont déjà montré leur intérêt pour cette recherche.

Nous ne sommes pas tous égaux face à la maladie, ni face aux traitements prescrits par les médecins. Certains patients assimilent ou éliminent les substances rapidement, et d'autres plus lentement. Pour qu'un traitement soit efficace, il est donc nécessaire d'individualiser les posologies. Un dosage trop élevé provoquera des effets indésirables, et un dosage trop léger ne sera pas assez efficace. Mais comment faire pour déterminer la quantité de substance active d'un médicament chez un patient ?

Les aptamères, vedettes de la détection
La première étape consiste à déceler la concentration de médicaments présents dans le corps, ce qui n'est pas simple. A l'EPFL, les chercheurs du laboratoire de Carlotta Guiducci - Chaire Swiss-up en ingénierie (CLSE) - ont développé une méthode rapide et à bas prix pour fabriquer des fragments d'ADN appelés aptamères, qui capturent efficacement les médicaments dans un échantillon de sang.

Les aptamères sont les vedettes prometteuses de la détection médicale. Ils sont résistants, stables et avantageux par rapport aux anticorps, qui sont souvent trop gros pour détecter de petites molécules. Mais leur production est encore lente et coûteuse.

«Pour l'instant, les aptèmeres sont fabriqués dans un petit nombre de laboratoires spécialisés, et ils correspondent à un nombre limité de molécules cibles», explique Carlotta Guiducci, directrice du CLSE.

Publiée en première page d'ACS Combinatorial Science, une nouvelle méthode ouvre la voie à la fabrication facile d'aptamères inédits, qui pourront correspondre à de nouveaux types de médicaments.

Les chercheurs fixent tout d'abord des fragments d'ADN - ou aptamères- sur des billes magnétiques. Lorsque la molécule cible arrive vers ces fragments, les plus réceptifs d'entre eux se détachent de la bille pour s'accrocher à la molécule. Les meilleurs fragments sont ensuite purifiés, multipliés puis testés à nouveau afin de choisir in fine le plus performant de tous. Seuls quelques cycles de sélection suffisent pour obtenir un aptamère aussi efficace, voire meilleur que ceux qui sont produits via les méthodes traditionnelles. «Tout cela sans faire de modification chimique de la molécule cible», précise la scientifique.

Des tests inédits
Les chercheurs ne se sont pas arrêtés là. En collaboration avec le CHUV, ils ont testé leurs aptamères dans leur nouveau dispositif de détection optique compact, qu fait l'objet d'une publication, mais cette fois dans Analytical chemistry. Pour leur test, les scientifiques ont porté leur choix sur la détection d'un antibiotique appelé Tobramycine, utilisée dans les hôpitaux pour soigner différents types d'infections. «Nous avons utilisé des échantillons de sang dont nous connaissions la concentration en tobramycine, mesurées par la méthode de référence du CHUV. L'idée était de voir si nos aptamères, combinés à ce capteur simple et peu cher, permettaient de mesurer la quantité médicament avec précision», explique Carlotta Guiducci.

Le détecteur, qui tient dans une main, est composé d'une source LED, d'un dispositif microfluidique et d'une caméra CMOS. A l'intérieur du canal microfluidique se trouvent des nano-îles d'or, sur lesquelles ont été greffées les aptamères. Lorsque l'échantillon passe dans le tuyau, les molécules cibles s'accrochent aux aptamères, ce qui permet de déduire la concentration de médicaments de l'échantillon. «Les performances obtenues pour la Tobramycine montrent que notre dispositif est compatible avec les besoins de la clinique », se réjouit la chercheuse. «Tout porte à croire qu'il en ira de même pour de nombreux médicaments».

Démocratiser le monitoring des médicaments dans le sang
A travers ces deux recherches conjointes, les scientifiques présentent une technique complète rapide, peu chère et compacte, qui permet de détecter des substances médicamenteuses en adéquation avec les exigences cliniques. Des outils informatiques d'aide à l'interprétation clinique de ces mesures sont par ailleurs en cours de développement.

De quoi intéresser les médecins, qui pourront surveiller très facilement la présence de médicaments dans le sang de leurs malades, mais aussi les entreprises biotech et pharmaceutiques. Situé sur le campus de l'EPFL, le «Translational Laboratory» de Debiopharm International, a d'ailleurs contribué à ces recherches, par le biais d'un projet CTI. «Lors de la phase de développement d'un médicament, les entreprises souhaitent pouvoir caractériser rapidement et à bas coût les principes actifs du produit. Il s'agit d'étudier la façon dont les substances sont assimilées, puis éliminées par le corps, afin d'adapter leur produit avant la vente», illustre Carlotta Guiducci.


Auteur: Laure-Anne Pessina

Source: EPFL