Les technologies de l'information et du calcul au cœur du cerveau

© BBP/EPFL

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La neuroinformatique, les simulations du cerveau et les supercalculateurs sont des domaines de recherche chers à la Professeure Anastasia Ailamaki, directrice du Laboratoire de systèmes et applications de traitement de données massives (DIAS) de la Faculté Informatique et Communications. Récemment nommée co-directrice (avec le Professeur Richard Frackowiak) de la division d’informatique médicale et responsable d’un module de travail de la division de calcul haute performance du Human Brain Project, la Professeure Ailamaki décrit les défis qui l’attendent.

Professeure Ailamaki, les technologies de l’information et du calcul sont au cœur du Human Brain Project. Pour quelles raisons?
« L’objectif du Human Brain Project est d’explorer le labyrinthe que constitue le cerveau humain, avec ses neurones et leurs interactions. Les buts des neuroscientifiques sont notamment de comprendre les mécanismes de la cognition, de générer des signatures biologiques uniques de maladies, et d’inspirer de nouveaux traitements efficaces en parvenant à une meilleure compréhension de maladies actuellement incurables.
L’informatique est l’élément charnière entre la définition du projet et ses objectifs. En cette qualité, il représente la force d’unification qui permettra de réaliser ces objectifs. Dans ce projet, l’acquisition de connaissances sera rendue possible par une collecte et un stockage effectifs de quantités de données sans précédent, ainsi que par leur analyse et leur exploitation exhaustives. Nous devons inventer de nouvelles méthodes d’analyse afin d’explorer plus profondément que jamais l’immense masse de données enregistrées à partir de simulations détaillées du cerveau, et inventer aussi de nouveaux algorithmes pour déchiffrer et exploiter ces données ainsi que des technologies de traitement de l’image permettant de comprendre les données cliniques fournies par des hôpitaux situés en Europe et au-delà. De plus, il nous faut concevoir de nouvelles méthodes d’intégration des données afin de combiner tous les différents types de données en une source de connaissance unifiée, qui pourra être utilisée par les neuroscientifiques et les médecins à travers le monde. »

Pourriez-vous expliquer le rôle de votre équipe dans les divisions d’informatique médicale et de calcul de haute performance ?
« Mon équipe coordonne les technologies de gestion des données à l’« échelle exa », nécessaires pour transformer toutes les données collectées dans le cadre du projet en informations utilisables par les neuroscientifiques, les médecins et les praticiens utilisant les plateformes du Human Brain Project. Dans la division d’informatique médicale, nous sommes chargés de développer un réseau d’hôpitaux fédérés ; celui-ci traitera efficacement les données dans de nombreux sites hospitaliers différents, afin de répondre à certaines questions de la médecine tout en assurant la confidentialité et l’anonymat des données cliniques. Dans la division de calcul haute performance, nous développons des algorithmes afin de naviguer à travers d’immenses quantités de données issues de simulations du cerveau, en utilisant des superordinateurs de pointe. La technologie que nous développerons dans ces deux divisions sera utile à d’autres divisions du projet, car la plupart d’entre elles doivent, pour remplir leurs objectifs, s’atteler à des tâches de gestion des données tout aussi colossales. »

Si les technologies de l’information et du calcul sont cruciales pour comprendre le cerveau, est-ce que, à l’inverse, l’informatique pourrait bénéficier de l’étude de l’architecture et des circuits cérébraux? De quelle manière?
« Le modèle de fonctionnement du cerveau est un merveilleux paradigme de calcul efficace en termes de rapidité et de consommation d’énergie. Le cerveau a une formidable capacité à mettre en parallèle et à résoudre des problèmes difficiles tout en effectuant des calculs apparemment répétitifs, le tout en consommant l’énergie équivalant à une banane! L’une des divisions du Human Brain Project, dans le domaine de l’informatique neuromorphique, a pour objectif de construire des machines de calcul basées sur le principe des réseaux neuronaux.»

Le BlueGene/Q a récemment été mis en service. Cet ordinateur peut effectuer 172 000 milliards d’opérations par seconde. Avec sa faible consommation d’énergie, il compte parmi les dix superordinateurs les plus respectueux de l’environnement du monde. Est-ce qu’un appareil aussi performant pourrait satisfaire les besoins des modèles et des simulations du cerveau ?
« Les simulations et les processus cérébraux exigent une immense puissance de calcul, et il est certain qu’une telle plateforme permet des calculs plus rapides et des simulations plus complètes que ses prédécesseurs, mais seulement pour une petite partie du cerveau. Pour véritablement remplir les objectifs du Human Brain Project, il faut en effet concevoir et construire un ordinateur au moins 5000 (cinq mille) fois plus puissant. »

Le HBP suscite beaucoup d’attention. S’agit-il de l’occasion rêvée pour souligner le rôle crucial des femmes en sciences?
« Beaucoup de femmes sont d’excellentes scientifiques et ingénieures, et je vois le Human Brain Project comme une magnifique occasion de dépasser les superstitions et les obstacles sociaux et de permettre au monde de manière générale (et à l’Europe en particulier) de découvrir tout le potentiel des scientifiques femmes. Le fait que l’on parle particulièrement de l’informatique dans le contexte du Human Brain Project, qui vise un domaine d’application tellement important, motivera, je l’espère, plus d’informaticiens femmes à travailler avec nous. »