Les peintures des bâtiments relâchent des substances toxiques

© 2011 EPFL

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Lessivées par les intempéries, des substances toxiques présentes dans les peintures s’échappent des façades des immeubles. Des chercheurs de l’EPFL ont mis au point un outil permettant de mieux évaluer l’importance de ce phénomène.

Les peintures extérieures comportent souvent des fongicides et autres adjuvants antibactériens, afin de prévenir la formation de moisissures. Lors de pluies abondantes, les façades relâchent ces produits chimiques qui s’écoulent dans les sols, les eaux souterraines, et dans les bassins fluviaux. Ces biocides attaquent les bactéries, les champignons et les algues, des organismes à la base de la chaîne alimentaire.

Une étude présentée à la conférence de l’American Geophysical Union (AGU) à San Francisco, le 9 décembre, montre que ces substances sont présentes en quantités dangereuses dans les cours d’eau. Les chercheurs du Laboratoire de technologie écologique (ECOL) à l’EPFL se sont penchés sur le cas de la rivière Vuachère, à Lausanne. Sylvain Coutu, doctorant, a développé un outil mathématique qui permet de prédire précisément les niveaux de concentration de trois biocides présents dans les peintures industrielles : le dicarbonate diméthylique (DCMU), le terbutryne et le carbendazime.

Une fois et demie la dose « dangereuse » à Lausanne
Le chercheur a simulé la concentration de ces trois substances après quatre épisodes de pluie durant l’été 2011. Il a ensuite comparé les résultats aux mesures effectuées dans la rivière. Le modèle s’est révélé précis à quelques nanogrammes par litre près, alors même qu’il mesurait un bassin versant de 15 km2 ! Ses calculs prennent en compte la façon dont les eaux ruissellent sur les différents types de sols que l’on trouve en ville, d’une manière à la fois simple et précise.

Dans la Vuachère, les niveaux mesurés de DCMU – une molécule herbicide et algicide qui bloque la photosynthèse des plantes, les privant d’énergie – étaient de 30 nanogrammes par litre, soit 10 nanogrammes de plus que le seuil généralement considéré comme dangereux. «Ça n’a pas l’air beaucoup, mais cela reste une concentration élevée avec des conséquences sur l’écosystème, explique Sylvain Coutu. Ces produits sont élaborés pour tuer même à très faible dose. » Comme ils sont conçus pour se dégrader difficilement, ces poisons risquent en outre d’infiltrer durablement la chaîne alimentaire.

Selon Christian Pillonel, de l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) en Suisse, «la plupart des produits utilisés pour la construction de façades contiennent des biocides. Le Gouvernement suisse est actuellement en train d’adapter la réglementation aux normes européennes, plus strictes».

Dans l’eau potable
Les biocides sont utilisés sur les façades des bâtiments pour rendre les peintures plus résistantes, mais ils sont aussi lessivés par les pluies de façon continue. En Suisse, les biocides sont présents dans les peintures extérieures d’environ 60% des bâtiments. L’année dernière, une étude menée par l’Institut de recherches de l’eau EAWAG a trouvé dans les cours d’eau des niveaux élevés de ces toxines, provenant des bâtiments à la suite d’un procédé dit de «lessivage progressif des façades». Elle a aussi prouvé que le niveau moyen de concentration de biocides dans les réseaux urbains d’alimentation en eau devrait impliquer «de nouvelles techniques de traitement, ou même l’interdiction d’utiliser certains pesticides ou certains biocides».

Le modèle développé par Sylvain Coutu présente l’avantage de pouvoir être utilisé ailleurs et à moindre coût, moyennant une adaptation des paramètres aux conditions locales. Une fois que ces données sont déterminées, il devient possible de calculer les concentrations de ces substances à divers points du réseau afin de savoir si elles dépassent les niveaux acceptables.