Les habitants des centres-villes voyagent plus, mais polluent moins

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Les statistiques montrent que les citadins s’échappent à coup de milliers de kilomètres durant leurs loisirs. Est-ce un besoin impérieux de verdure? Les villes doivent-elles être moins denses? Pas si vite: une thèse de l’EPFL bat en brèche la théorie de «l’effet barbecue».

Pourquoi les habitants des centres-villes ont-ils un besoin impérieux de s’échapper? Les statistiques montrent qu’ils multiplient les kilomètres durant leurs loisirs, parcourant souvent des distances bien supérieures à celles des habitants des banlieues. Que vont-ils chercher? Et à quel prix énergétique? Une recherche de l’EPFL montre que loin de compenser un hypothétique manque d’espace vert, ces citadins cherchent aussi la densité d’autres villes ou la compagnie des amis ou de la famille. En outre, en dépit des kilomètres parcourus, leur bilan carbone reste inférieur à celui des habitants des zones périurbaines. Et pour cause: ils utilisent davantage les transports publics et moins la voiture.

Ces conclusions contredisent une hypothèse souvent avancée pour expliquer le grand nombre de kilomètres parcourus par les citadins: profiter de la nature et du calme qu’ils n’ont pas à proximité. Les habitants des zones périphériques bénéficieraient, eux, davantage de leur environnement et n’auraient pas besoin de s’échapper pour griller des saucisses ou faire un bonhomme de neige. On parle d’«effet barbecue» ou d’«effet de compensation». Cette explication remet en cause le concept de ville compacte qui, du point de vue de la mobilité, aurait la vertu de présenter une consommation énergétique par habitant moins élevée que dans les villes plus étalées.

Chercheur au Laboratoire de sociologie urbaine, Sébastien Munafò a mis sur le gril cet effet barbecue et en a fait le sujet de sa thèse. Pour cela, il s’est concentré sur deux villes – Genève et Zurich – qu’il a découpées en trois secteurs: l’hypercentre, les communes suburbaines et la couronne périurbaine. Puis, il a analysé les mobilités quotidiennes et occasionnelles des habitants, à l’aide des chiffres du «Microrecensement mobilité et transport», effectué tous les 5 ans par l’Office fédéral de la statistique. En matière de mobilité quotidienne, pas de surprise: les citadins se meuvent peu – ils ont quasi tout à proximité –, tandis que les habitants de la périphérie alignent les kilomètres.

Pas de lien avec la densité de l’habitat
En prenant en compte la mobilité occasionnelle, essentiellement dédiée aux loisirs, la situation s’inverse. Les citadins rattrapent, voire dépassent les banlieusards. Ils doublent leur compte qui atteint ainsi 27’000 km par an et par individu à Zurich et 18’500 km à Genève. Pour les habitants des régions suburbaines et périurbaines, ces déplacements occasionnels représentent environ un tiers du total. Celui-ci varie entre 18’500 et 22’500 km par an et par habitant en périphérie zurichoise et entre 14 et 18’800 km en région genevoise.

C’est en regardant en quoi consistent les mobilités de loisirs que la théorie de l’effet barbecue s’écroule. Le chercheur en distingue deux types: les mobilités compactophiles, pour lesquelles être en ville constitue un avantage, et les mobilités naturophiles qui profitent des avantages des espaces moins denses. Or là, le lien entre densité de l’habitat et recherche d’espace vert se rompt. Ainsi les citadins genevois se révèlent plutôt compactophiles alors même que Genève est une ville plus dense que Zurich. Les hyperurbains zurichois, eux, se montrent très naturophiles. Et les périurbains recherchent beaucoup la nature, surtout à Zurich.

Un «effet d’urbanité»
«L’effet barbecue sous-entend que le choix du cadre de vie est subi et que les citadins se retrouvent prisonniers d’un environnement désagréable, précise Sébastien Munafò. Mais dans la plupart des cas, habiter en ville est particulièrement cher. Ceux qui y résident font donc un choix dans lequel ils trouvent aussi des avantages.» On opte donc pour un cadre de vie en fonction de son mode de vie: la périphérie parce que l’on aime sa proximité avec la nature ou la ville pour sa densité et sa diversité. Et ce n’est pas un bout de jardin à leur porte qui va empêcher les urbains centraux de voyager beaucoup, car cela correspond finalement à leur mode de vie. «On pourrait plutôt parler d’un effet d’urbanité: plus on habite en ville, plus se déplacer est habituel, plus on est à l’aise dans la mobilité et plus on a aussi accès à des moyens de transport performants pour le faire», conclut le chercheur.

Cette thèse a été soutenue par le Forum Vie Mobile, le think tank de la SNCF.