Les gènes portent la trace de l'influence du milieu

La vache ougandaise Ankole, une espèce menacée en raison des croisements génétiques. © Raimond Spekking / Wikimedia Commons

La vache ougandaise Ankole, une espèce menacée en raison des croisements génétiques. © Raimond Spekking / Wikimedia Commons

Bouleversements climatiques, déplacements de populations, croisements naturels ou forcés provoquent ou accélèrent l’évolution des espèces. Entre informations géographiques et génétique, une méthode développée par un chercheur de l’EPFL dans le cadre d’un projet européen permet de lire dans les gènes les adaptations provoquées par le milieu.

L’un des plus grands travers de l’Homme est sans doute de se croire supérieur aux lois de la nature. Lorsque des éleveurs de bétail achètent des semences à l’autre bout du monde, par internet, dans un souci de productivité immédiate, ils mettent de côté un fait pourtant évident: ce n’est pas par hasard que certaines espèces ont pu s’installer et survivre dans certains milieux depuis des millénaires. «Le cas est flagrant par exemple en Ouganda, illustre Stéphane Joost, chercheur au Laboratoire d’informations géographiques (LASIG) de l’EPFL. La race de vache Ankole s’y est naturellement développée au cours de plusieurs centaines d’années d’évolution. Elle est parfaitement adaptée aux conditions climatiques locales. Pourtant, les éleveurs la croisent avec ou importent des Holstein originaires des Pays-Bas parce qu’elles produisent davantage de lait. Ces croisements ne survivent pas longtemps dans ce milieu.»

Les paysans des régions pauvres doivent trouver un équilibre entre une productivité suffisante et un choix durable qui leur permettra de laisser un héritage à leur famille. Les outils développés entre autres par Stéphane Joost sont en mesure de fournir des éléments concrets qui peuvent aider à prendre les bonnes décisions. «Notre travail consiste à mettre en relation des marqueurs génétiques avec des données environnementales», reprend le chercheur.

Quand la pluie «crée» de la cire

«Nous avons ainsi pu constater que certaines races de moutons produisent une laine comportant davantage de cire (suintine) dans les régions où il y a plus de précipitations», ajoute Stéphane Joost en guise d’exemple. La méthode permet aussi de savoir quelle région du génome est impliquée dans la résistance à la maladie véhiculée par la mouche tsé-tsé, une donnée cruciale dans les régions d’Afrique où elle sévit.

Concrètement, il s’agit donc de puiser dans les vastes bases de données des systèmes d’information géographique ou de mesurer des paramètres environnementaux avec l’aide de capteurs sur le terrain, de déterminer quels gènes peuvent tirer leur fonction du milieu où vivent les espèces étudiées, et d’établir des corrélations – d’où le nom de «landscape genomics» appliqué à cette démarche.

Ces recherches sont liées à plusieurs projets européens. Le mois dernier, l’EPFL a réuni un important parterre de chercheurs dans le cadre du séminaire de conclusion de Globaldiv (www.globaldiv.eu), un programme de trois ans concentré sur les méthodes et les données liées à la conservation des ressources génétiques des animaux d’élevage. Celui-ci se poursuit désormais sous le nom de «Genomic-Resources» (genomic-resources.epfl.ch). En parallèle, Stéphane Joost et le LASIG sont actifs au sein du projet NextGen (nextgen.epfl.ch), qui veut appliquer la landscape genomics au génome complet de plusieurs espèces d’animaux d’élevage séquencés en Afrique (chèvres en Iran, chèvres et moutons au Maroc et vaches Ankole en Ouganda).

«Nous voulons explorer des associations potentielles entre des centaines de paramètres environnementaux et – d’ici quelques temps – des millions de marqueurs génétiques», précise Stéphane Joost, qui dirige Genomic-Resources, d’une durée de quatre ans. En plus du travail de prospection et d’analyse génétique sur le terrain, la préparation de cet «atlas génétique» requiert d’importantes forces de calcul, imposant l’utilisation du High performance computing et les fonctions spécifiques programmées au sein d’un logiciel également développé au LASIG dans le cadre d’une thèse de doctorat.

La méthode mise au point à l'occasion de ces projets a d’ores et déjà été appliquée par de nombreux chercheurs, qui contribuent ainsi à documenter des associations révélées entre des régions du génome et certains paramètres environnementaux. Ces informations serviront aussi bien à la préservation des espèces qu’à l’encadrement scientifique des éleveurs.