Les gènes, facteurs cruciaux des infections intestinales

Des mouches des fruits ont été utilisés dans cette étude (Crédit: Thinkstock)

Des mouches des fruits ont été utilisés dans cette étude (Crédit: Thinkstock)

Nous ne sommes pas égaux dans la lutte contre les infections intestinales. Des scientifiques de l’EPFL ont démontré que de minuscules variations génétiques pouvaient être cruciales pour l’immunité intestinale. Une étude qui pourrait révolutionner le traitement de ces maladies.

Notre intestin a un système immunitaire complet et bien développé malgré la quantité de microorganismes que nous ingérons chaque jour. Cette défense sert contre les affections aiguës et chroniques, mais elle varie énormément selon les individus. La question se pose donc de savoir de quelle façon notre patrimoine génétique affecte la capacité de notre intestin à combattre les infections. Or, des chercheurs de l’EPFL ont prouvé que l’immunité intestinale n’était pas influencée par des gènes isolés, mais par des groupes entiers d’entre eux. Cette étude, qui remet en cause certaines vues simplistes sur les maladies intestinales, est publiée dans Nature Communications.

Inégaux face aux infections

Un intestin sain contient une multitude de bactéries bénéfiques qui aident à digérer et à transformer les aliments. Mais certaines peuvent provoquer des infections, raison pour laquelle l’intestin a développé un large éventail de défenses. Une fois ingérées, les bactéries stimulent les cellules de l’intestin. En réponse, celles-ci produisent un mélange de molécules antimicrobiennes ainsi que de molécules ultra réactives qui neutralisent les micro-organismes infectieux, mais qui peuvent aussi endommager les tissus intestinaux. Les cellules des zones endommagées sécrètent alors des molécules spécialisées qui activent les cellules souches de l’intestin pour régénérer ses tissus.

Nous ne sommes toutefois pas égaux en termes d’immunité intestinale. A régime identique, certains individus sont plus sensibles aux infections que d’autres. Par exemple, deux personnes peuvent ingérer le même hamburger infecté par des salmonelles, mais seule l’une d’entre elle va en souffrir. Si les variations génétiques entre individus en sont certainement la cause, ce domaine reste jusqu’ici peu connu.

Des mouches à la rescousse

Or, le laboratoire de Bart Deplancke et celui de Bruno Lemaitre, à l’EPFL, ont fait un bon en avant dans notre compréhension des influences génétiques sur l’immunocompétence de l’intestin. Les chercheurs ont démontré qu’il faut raisonner en termes de groupes de gènes qui collaborent, une dimension bien plus complexe que les gènes isolés.

« Il est très difficile d’étudier les variations génétiques chez les humains, déclare Deplancke. Il existe tant de facteurs qui empêchent d’avoir un standard de comparaison, comme des régimes alimentaires différents, la vitesse de développement, ou les habitudes diurnes. » Des facteurs environnementaux qui n’aident pas à isoler des causes génétiques.

L’équipe s’est donc attaquée au problème en employant des drosophiles, dont l’environnement peut facilement être contrôlé. Cela permet d’observer des souches avec des profils génétiques distincts, tout en maintenant des facteurs environnementaux identiques.

Les chercheurs n’ont pas observé des gènes en particulier, mais un groupe de gènes qui collaborent. Les données de cette approche « génomique » leur semblaient en effet bien plus efficaces pour tenter de relier la génétique et l’immunité intestinale.

Le doctorant Maroun Bou Sleiman et le postdoc Dani Osman ont alors infecté des souches de drosophiles avec des bactéries intestinales en s’assurant que les autres facteurs, comme l’alimentation, la température, l’humidité et même la quantité de bactéries infectantes restaient identiques. Pour ce faire, l’équipe a utilisé plus d’une centaine de souches de mouches aux groupes de gènes clairement distincts.

Le génome en question

Ils ont ainsi découvert qu’il existait une variation frappante de prédisposition des diverses souches. Par exemple, l’une d’entre elles s’est montrée sensible à 100% à la bactérie (toutes les mouches sont mortes après trois jours), une autre y survivait à 100%, d’autres évoluaient entre ces deux extrêmes (p.ex. une survie à 50-50).

« C’est donc bien une question de gènes», explique Deplancke, puisque tous les facteurs environnementaux sont restés identiques pour chaque souche. « De petites différences de génome peuvent donc vous rendre soit complément résistant, soit prédisposé à développer une infection donnée, ou n’importe quoi entre les deux. »

Restait encore à savoir quel était le lien biologique entre les variations de génome et la capacité de l’intestin à combattre les infections. Pour ce faire, les chercheurs ont utilisé deux techniques: la première a observé quels étaient les gènes « activés » dans l’intestin des mouches, l’autre a analysé par ordinateur quelles variantes génétiques étaient associées à des aspects clé de l’immunocompétence intestinale.

Les scientifiques ont ainsi identifié plusieurs nouvelles influences agissant sur l’immunité intestinale. Il ne s’agit pas de gènes isolés, mais de groupes en interaction. L’un de ceux découverts par les chercheurs implique des gènes liés à la production de molécules ultra réactives qui neutralisent les microorganismes infectieux.

Ce groupe de gènes a aidé les mouches à résister aux infections en réduisant l’activité des espèces réactives à l’oxygène, ce qui a limité les dommages causés à l’intestin. Il a également contribué à évacuer plus rapidement les agents pathogènes et à accroître l’activité des cellules souches responsables de la régénérescence tissulaire. Ce groupe très utile était par contre moins actif dans les insectes sensibles, ce qui veut dire qu’il s’agit là d’une différence vitale dans la lutte contre les infections intestinales.

Cette étude livre des pistes inédites par rapport à ce qui contrôle la capacité intestinale à combattre les infections, avec des implications qui vont bien au-delà des infections aigües. Par exemple, une inaptitude à nettoyer l’intestin d’agents pathogènes, à contrôler sa réponse immunitaire ou même à réparer ses tissus peut conduire à des maladies gastro-intestinales chroniques. Comme le précise Deplancke: « Ce travail montre comment une variation relativement mineure mais systématique du génome d’une mouche, et probablement d’un humain, peut induire des différences énormes en matière de prédisposition aux infections intestinales ».

Cette étude a été soutenue par le FNS, la Fédération des sociétés biochimiques européennes, l’EPFL et AgingX (SystemsX.ch). Elle a été rendue possible par une collaboration entre l’Institut d'infectiologie de l’EPFL, l’Institut de bio- ingénierie, l’Institut suisse de bioinformatique et l’Université de Melbourne.

Source

Bou Sleiman MS, Osman D, Massouras A, Hoffmann AA, Lemaitre B, Deplancke B. Genetic, molecular and physiological basis of variation in drosophila gut immunocompetence.Nature Communications 27 July 2015. DOI: 10.1038/ncomms8829