Le transfert d'électrons remet en cause une méthode de fluorescence

© 2015 Majed Chergui/EPFL

© 2015 Majed Chergui/EPFL

Grâce à une technique de pointe unique à l'EPFL, des scientifiques avancent des preuves qui remettent en cause l'une des techniques les plus utilisées en biologie.

Le tryptophane est un acide aminé, l'une des composantes des protéines. Il est largement utilisé pour étudier la manière dont les protéines modifient leur structure tridimensionnelle, et interagissent avec d'autres protéines et d'autres molécules. On recourt à une technique de fluorescence nommée FRET, qui mesure le transfert d'énergie du tryptophane à une autre molécule. Mais dans certains cas, les données FRET pourraient être faussées parce que le tryptophane transfère un électron, plutôt que de l'énergie. A l'aide d'une technique spectroscopique unique, des scientifiques de l'EPFL ont pu confirmer pour la première fois que c'est bien le cas. Cette étude, qui a des conséquences d'une grande portée sur l'efficacité de FRET, est publiée dans les PNAS.

La technique FRET est souvent utilisée avec l'acide aminé tryptophane, qui présente l'avantage supplémentaire d'être intrinsèquement fluorescent. Avec FRET, la protéine à étudier est modifiée pour contenir une molécule receveuse au bon endroit. Lorsque la protéine change sa structure tridimensionnelle, le tryptophane interagit avec la molécule receveuse, et lui transfert de l'énergie. Il en résulte une diminution de l'émission de fluorescence du tryptophane, qui peut être corrélée à la distance du tryptophane à la molécule. Puisque la structure tridimensionnelle de la protéine est connue au départ, FRET est capable de nous en apprendre beaucoup sur la manière dont elle a changé.

Mais ici, des problèmes se posent. Le laboratoire de Majed Chergui à l'EPFL a montré de manière déterminante que les données fournies par FRET peuvent être faussées par le transfert d'électrons à l'intérieur de la protéine. L'article se fonde sur un précédent article publiée dans Science (2013).

Dans l'état ferrique de la myoglobine, la protéine qui transporte l'oxygène à nos muscles, l'équipe de Chergui a montré que le tryptophane transfère naturellement des électrons à la molécule de la protéine que se lie à l'oxygène, nommée «hème». Et comme le transfert d'électrons provoque simultanément une dégradation de la fluorescence du tryptophane, ce phénomène a pu être interprété à tort comme un signal positif, ce qui pose la question de savoir si c'est aussi le cas dans d'autres protéines.

Dans l'étude passée en revue ici, le laboratoire de Chergui s'est intéressé à une classe de protéines hémiques plus pertinente, les myoglobines ferriques. Les scientifiques les ont étudiées dans leur état physiologique, afin de voir si le tryptophane transférait des électrons à la molécule hémique de la myoglobine qui se lie à l'oxygène. Cependant, ils ont été confrontés au temps extrêmement court pendant lequel le transfert d'électrons se produit. Pour surmonter cet obstacle, les scientifiques ont développé un instrument spectroscopique nouveau et, jusqu'ici unique, la «spectroscopie UV ultra-rapide à deux dimensions».

L'étude a confirmé que le transfert d'électrons se produit bel et bien entre le tryptophane et la molécule hémique, ce qui produit chez celle-ci une forme ionique conforme aux prédictions théoriques. De plus, leur étude a démontré que le transfert d'électrons à partir du tryptophane se produit plus fréquemment qu'on ne le croyait précédemment. Par conséquent, le recours systématique à la fluorescence du tryptophane dans les analyses FRET est remise en question.

«La découverte pose réellement un problème pour les études fondées sur l'analyse FRET», dit Majed Chergui. «Si le tryptophane transfère des électrons dans les protéines étudiées, cela peut produire des résultats erronés, qui pourraient être lus à tort comme des changements dans la conformation des protéines.»

Ce travail a bénéficié du soutien du Fond national suisse de la recherche scientifique (FNS) par le biais de NCCR:MUST.

Source

Monni R, Al Haddad A, van Mourik F, Auböck G, Chergui M. Tryptophan-to-haem electron transfer in ferrous myoglobins.PNAS. DOI: doi:10.1038/cr.2015.49