Le stress engendre des inégalités

Credit: ThinkStock

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De quelle manière le stress affecte-t-il l’estime de soi en situation de compétition? Une étude de l’EPFL montre qu’il pourrait être à la fois la cause et la conséquence d’inégalités économiques et sociales, influençant notre compétitivité et notre capacité à prendre des décisions financières.

Le stress fait partie intégrante de notre quotidien et nous savons intuitivement qu’il peut influer sur notre faculté à affronter la concurrence. Restait jusqu’ici à comprendre comment. Or, des chercheurs de l’EPFL ont réalisé une étude comportementale qui démontre que le stress affecte notre degré de confiance, prouvant par là même qu’il peut non seulement être la conséquence, mais également la cause d’inégalités sociales. Au niveau biologique, les scientifiques ont en outre associé les effets du stress à la production de l’hormone cortisol. Leur étude est publiée par Psychoneuroendocrinology.

La confiance est fondamentale pour notre compétitivité sociale; lorsque nous nous sentons peu sûrs de nous, nous sommes moins en mesure de prendre le genre des décisions aptes à nous donner un avantage social et financier. Moteur de compétition, la confiance devient donc centrale pour l’organisation et le fonctionnement des sociétés humaines, et elle déteint sur nos interactions.

On sait toutefois peu de choses sur ce qui influence la confiance en soi. Deux facteurs principaux semblent se profiler, le stress et l’état général d’anxiété de l’individu, appelé « trait d’anxiété ». Ce dernier décrit la propension qu’a une personne de percevoir le monde comme menaçant ou angoissant. Reste à savoir comment celui-ci - ajouté au stress – influence la confiance en compétition.

Stress et confiance

Or, les équipes de Carmen Sandi de l’EPFL et de Lorenz Goette de l’UNIL ont désormais démontré que le stress pouvait stimuler la confiance compétitive de personnes dont le trait d’anxiété était faible, mais qu’il la diminuait pour des individus au trait d’anxiété élevé. Pour ce faire, les chercheurs ont mis sur pied une expérience comportementale mettant plus de 200 participants aux prises avec deux tests en ligne: l’un pour évaluer leur QI et l’autre leur trait d’anxiété.

Une semaine plus tard, la moitié environ des personnes impliquées ont dû passer une évaluation psychologique standard (TSST-G) conçue pour engendrer un stress social aigu, par exemple un faux entretien d’embauche ou la résolution de calculs mentaux devant un public impassible. L’autre moitié des participants a intégré un groupe de contrôle, et n’a pas eu besoin de se soumettre à ce stress.

Toutes les personnes, sous pression ou non, ont ensuite été confrontées à deux options dans un jeu d’argent: elles pouvaient soit tenter leur chance au tirage au sort, soit faire valoir leur résultat de QI pour affronter un autre participant inconnu: la personne avec le QI le plus élevé remportait alors le duel.

Dans le groupe de supervision, non stressé, quasi 60% des participants ont choisi le choc des QI, ce qui témoigne d’une bonne confiance globale, indépendamment de leur trait d’anxiété. Par contre, le groupe soumis au stress avant de participer au jeu d’argent a vécu les choses diversement. Le taux de confiance de chacun a en effet varié en fonction de leur trait d’anxiété. Lorsque celui-ci était de faible teneur, le stress a accru la confiance en soi des individus par rapport aux adversaires non stressés. Chez les anxieux, par contre, la confiance a disparu.

Ces découvertes suggèrent que le stress est une force de catalyse qui joue sur la confiance en soi d’une personne en situation de compétition, et qu’il est capable de l’élever ou de l’anéantir en fonction de la prédisposition de chacun à l’anxiété.

Stress et cortisol

Les chercheurs ont par ailleurs observé que les effets du stress sur la confiance des participants étaient arbitrés par le cortisol, une hormone produite par les glandes surrénales sous tension. L’équipe a ainsi prélevé des échantillons de salive sur les participants stressés et cherché des traces de cortisol. Or, parmi les personnes à faible trait d’anxiété, les plus confiantes ont également montré une réponse accrue du cortisol au stress. Chez les individus anxieux par contre, ces taux élevés de cortisol étaient associés à une confiance médiocre, ce qui indique un lien entre les effets comportementaux du stress et un mécanisme biologique.

Cette expérience offre donc une simulation de la confiance en compétition sociale, et fait le rapprochement avec les inégalités socioéconomiques. Les études ont en effet démontré que dans des régions aux fortes inégalités socioéconomiques (p.ex. un fossé important entre riches et pauvres), les personnes au bas de l’échelle sociale expérimentaient de forts taux de stress.

« Les gens pensent souvent que la confiance en soi est une compétence », déclare Carmen Sandi. « Si le stress d’un entretien d’embauche rend une personne trop sûre d’elle, celle-ci sera embauchée plus facilement – même à compétences égales. C’est ce qui va se passer pour un individu au trait d’anxiété peu élevé. »

Ainsi, loin d’être uniquement la conséquence d’une disparité en compétition, le stress doit désormais être considéré comme l’une de ses causes directes. En d’autres termes, il peut devenir un obstacle majeur dans toute tentative de lutter contre les inégalités socioéconomiques, car il piège les individus anxieux dans une spirale de faible confiance en soi qui s’auto-entretient en compétition.

Carmen Sandi s’intéresse désormais à créer des liens entre l’effet du stress sur la confiance en soi et l’imagerie cérébrale. Même s’il reste beaucoup à apprendre dans ce domaine, elle pense que cela peut modifier notre façon d’aborder la dynamique sociale. « Le stress est un moteur d’évolution sociale, » précise-t-elle. « Il affecte l’individu et, par extension, la société dans son ensemble. »

Coréalisée par l’EPFL et l’Université de Lausanne (UNIL), cette étude a été en partie financée par le Fonds national suisse de la recherche scientifique.

Source

Goette L, Bendahan S, Thoresen J, Hollis F, Sandi C. Stress pulls us apart: Anxiety leads to differences in competitive confidence under stress.Psychoneuroendocrinology 18 February 2015. http://dx.doi.org/10.1016/j.psyneuen.2015.01.019