Le métabolisme des tumeurs aide à comprendre l'hépatoblastome

Tissu normal du foie (à gauche) et tissu avec hépatoblastome (à droite) © Etienne Meylan / EPFL

Tissu normal du foie (à gauche) et tissu avec hépatoblastome (à droite) © Etienne Meylan / EPFL

En étudiant le métabolisme des cellules plutôt que l'histologie, des scientifiques de l'EPFL ont identifié de nouveaux biomarqueurs qui pourraient aider à classifier de manière plus précise deux principaux sous-types de l'hépatoblastome, un cancer du foie chez l'enfant.

L'hépatoblastome est un cancer du foie pédiatrique rare, généralement diagnostiqué au cours des trois premières années de vie. On utilise des méthodes histologiques pour distinguer les différents sous-types de l'hépatoblastome. Des scientifiques de l'EPFL viennent de découvrir des différences métaboliques entre les sous-types d'hépatoblastome, et identifié plusieurs biomarqueurs qui peuvent contribuer à obtenir un sous-typage plus précis de la maladie. Ce travail est publié dans EMBO Molecular Medicine.

Il existe de nombreux sous-types d'hépatoblastomes, les deux principaux étant fœtaux et embryonnaires. D'un point de vue clinique, les cas purement fœtaux ont le meilleur pronostic. Pour distinguer les différents sous-types, les oncologues colorent des biopsies et observent l'architecture de la tumeur. Toutefois, cela n'est pas satisfaisant.

«Lorsque nous comparons les tumeurs sous le microscope, nous ne savons pratiquement rien de leurs différences», dit Etienne Meylan, dont le laboratoire à l'EPFL a dirigé cette étude. «C'est un peu comme de comparer des voitures: c'est seulement lorsque nous regardons le moteur qui est dedans que nous commençons à comprendre ce qui les rend si fondamentalement différentes l'une de l'autre. Notre étude montre que des types différents d'hépatoblastomes utilisent des aliments, ou carburants, différents pour croître. Certains utilisent du glucose, d'autres pourraient tirer profit d'acides gras. C’est important dans une optique de médecine personnalisée, puisque nous voulons être sûrs de bloquer le bon aliment pour la bonne tumeur».

Le laboratoire de Meylan a travaillé sur la génétique de l'hépatoblastome, qui connaît de fréquentes mutations du gène CTNNB1. Ce gène produit la protéine bêta-caténine, qui est impliquée dans l'adhésion cellule/cellule et la transcription génique. En raison de sa fonction duale, les mutations du gène CTNNB1 peuvent avoir des conséquences diverses et considérables, y compris dans des cancers comme l'hépatoblastome. La bêta-caténine est un des composants d'une voie de signalisation appelée Wnt/bêta-caténine, qui est responsable de la régulation de l'expression de multiples gènes. Ce qui est intéressant, c'est que beaucoup de composants de la voie de signalisation de la Wnt/bêta-caténine sont affectés et suractivés dans différentes tumeurs.

Une chose devient de plus en plus significative en oncologie: c'est que des types différents de cancers présentent des profils métaboliques caractéristiques, par exemple dans la manière dont ils produisent, stockent et utilisent le glucose, la glutamine, les acides gras, etc. Sur cette base, les chercheurs de l'EPFL ont étudié la relation entre le gène CTNNB1 et le métabolisme de la cellule.

Les chercheurs ont premièrement montré que la bêta-caténine, comme faisant partie de la voie de signalisation Wnt, régule directement l'expression d'un gène qui produit une protéine transporteuse de glucose. (GLUT3).

Ensuite, ils ont utilisé le séquençage de l'ARN pour identifier les caractéristiques moléculaires et métaboliques spécifiques à l'hépatoblastome. Cette approche a révélé que plusieurs enzymes impliquées dans le métabolisme du glucose sont sur-exprimées dans les cellules de l'hépatoblastome embryonnaire, en comparaison avec les cellules de l'hépatoblastome fœtal.

Enfin, les scientifiques ont découvert que les cellules de l'hépatoblastome embryonnaire présentent des niveaux élevés d'absorption du glucose. De plus, ils ont également trouvé que ces cellules sont très sensibles aux perturbations d'une enzyme impliquée dans l'utilisation du glucose par la cellule, qui pourrait conduire à une thérapie induite métaboliquement dans le futur.

A partir de leurs découvertes, les chercheurs ont utilisé l'immunohistochimie de trois biomarqueurs métaboliques afin de mieux distinguer les composants embryonnaires et fœtaux à partir d'un large panel de biopsies d'hépatoblastomes humains, recueillis dans des hôpitaux universitaires français et suisses.

L'étude montre que la voie de signalisation Wnt/bêta-caténine est essentielle pour reprogrammer la gestion de l'énergie des cellules cancéreuses. Elle offre aussi une nouvelle classification, métabolique, de l'hépatoblastome humain, susceptible d'aider les oncologues à développer des méthodes diagnostiques innovantes, et même des traitements.

«Cette étude constitue une avancée de la plus haute importance pour nos enfants affectés d'un hépatoblastome», dit la Prof. Barbara Wildhaber, cheffe du Service de chirurgie pédiatrique du Centre Suisse de Référence des Maladies du Foie de l’Enfant (Hôpitaux universitaires de Genève), qui n'était pas impliquée dans l'étude. «En tant que nouvelle étape vers une médecine personnalisée, les biomarqueurs qui ont été découverts permettent une caractérisation individuelle de la tumeur du foie chez les enfants, ce qui nous aide dans la stratification des risques, et finalement rend possible un traitement sur mesure et personnalisé.»

Institutions ayant participé

  • SIB Swiss Institute of Bioinformatics
  • Hôpitaux universitaires de Genève
  • Faculté de Médecine Université Paris Sud
  • Centre Ludwig pour la recherche sur le cancer et Département d'oncologie

Financement

  • Fonds National Suisse
  • Fondation Recherche sur le Cancer de l'Enfant (FORCE)

Référence

Stefania Crippa, Pierre-Benoit Ancey, Jessica Vazquez, Paolo Angelino, Anne-Laure Rougemont, Catherine Guettier, Vincent Zoete, Mauro Delorenzi, Olivier Michielin, Etienne Meylan. Mutant CTNNB1 and histological heterogeneity define metabolic subtypes of hepatoblastoma. EMBO Molecular Medicine 18 September 2017. DOI:10.15252/emmm.201707814