Le démantèlement des bateaux et le voyage de l'acier

© 2014 Alain Herzog

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Série d’été, travaux d’étudiants (8): Dis-moi comment l’on démonte un paquebot et je te dirai de quelle façon prospère une région grâce à son acier! Cela pourrait être la devise de ce projet ENAC de cycle master qui a permis, à deux étudiants en génie civil, de rassembler de nombreuses données sur le plus grand port de démantèlement du monde: Alang en Inde.

Que devient l’acier des bateaux morcelés? Trois laboratoires se sont associés pour aborder une même question sous des angles différents. Le travail de Majid Jaidi et Hugo Lakshmanan a mis en lumière l’impact de cette activité sur le développement urbain, économique, humain, environnemental et architectural, dû à l’essor du port d’Alang sur la côte Ouest de l’Inde.

«Comme nous n’avons pas pu nous rendre sur place, nous avons rassemblé des centaines de pages tirées de thèses, d’informations basées sur les rapports d’ONG présentes sur place, nous avons extrait énormément de données, explique Majid Jaidi.» En suivant les traces de l’acier, il a découvert les mécanismes de cette ville spontanée qui s’est érigée le long de la mer, à la suite du chantier de démantèlement de 14.4 km de long.

Le métal est le point d’ancrage de cette recherche, de nombreuses questions et autant de pistes à explorer gravitent autour de lui. Quelle est la provenance des 270 navires que l’on découpe chaque année ? Comment la récupération, la transformation et la redistribution de l’acier s’organisent-elles ou encore, quelles sont les origines et les conditions de travail des 25’000 à 50'000 personnes nécessaires, suivant les saisons, au bon fonctionnement de cette industrie ? Des points que les ingénieurs civils ont analysés et qui donnent les premiers éléments de réponse.

Le chantier d’Alang, construit il y a 30 ans, a eu un impact considérable sur les villages avoisinants. Ils ont rapidement prospéré et leurs habitants ont été les premiers à s’investir dans le démantèlement des bateaux. L’acier est une économie en voie de développement pour l’Inde. Les navires en sont constitués à 90%, le reste des pièces jusqu’aux charnières des portes étant aussi recyclé sur les marchés locaux. L’acier est utilisé tel quel ou fondu afin de produire des pièces de construction.

Tout le métal prélevé est destiné au marché intérieur. Le chantier d’Alang, à lui seul, fournit 4% de l’acier de l’Inde. L’environnement paye le prix fort à cet essor rapide et chaotique. Les navires sont pleins de métaux lourds, d’amiante ou de déchets organiques qui passent, pour la plupart, à la mer ou sont mal conditionnés.

Aujourd’hui la ville montre la plus grande croissance du pays. Les habitants profitent aussi de la migration des dizaines de millier de travailleurs. Cette main d’œuvre, qui s’installe parfois pendant des mois, vient principalement des trois états les plus pauvres. Des spécialisations sont apparues et de nouveaux métiers ont émergé tels que les transporteurs de fonds. Originaires de la même région que les ouvriers, ils assurent des versements réguliers aux familles. Cette analyse sociale met également en lumière les conditions médiocres de logement, de travail et l’augmentation de la prostitution.

Même sans être parti à l’autre bout du monde pour mener ce projet, Majid Jaidi garde un souvenir fort des données récoltées et de l’analyse qu’il en a faite : « j’ai pu constater que cette industrie dépend à 100% des humains, et pourtant ils ne sont pas bien traités. Cela m’a beaucoup touché. »

Les trois laboratoires de l’ENAC vont poursuivre leur collaboration et leurs investigations en demandant, cette fois, à des étudiants en architecture de se pencher sur le recyclage et la réutilisation des containers marins dans la construction. Plusieurs dizaines de milliers sont abandonnés dans le monde. Le magasin Freitag Flagship à Zurich illustre bien ce qui peut être fait avec des containers et de l’imagination. Encore une histoire d’acier. A suivre.
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Remerciements à Vincent Kaufmann et Yves Pedrazzini, du laboratoire de sociologie urbaine, Florence Graezer-Bideau, du «centre for Area and Cultural Studies» et Alain Nussbaumer Professeur au laboratoire de construction métallique



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