Le cerveau contiendrait des connaissances innées
Certaines connaissances fondamentales sont-elles innées? C’est ce que tend à prouver le travail des neuroscientifiques de l’équipe du Blue Brain à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL). Ces derniers ont découvert que des neurones se connectent entre eux indépendamment de l’expérience du sujet. Cette découverte radicale est publiée dans la revue PNAS.
Nous savons depuis longtemps que les circuits de neurones se forment et se renforcent suite aux expériences du sujet – ce phénomène est désigné sous le nom de «plasticité synaptique». Par exemple, c’est ainsi que la mémoire des événements se fixe dans le cerveau. Or l’équipe du Blue Brain à l’EPFL, dirigée par Henry Markram, apporte une contribution d’une radicale nouveauté. Les scientifiques ont pu démontrer que, dans le néocortex, de petits groupes de neurones dits «pyramidaux» se connectent entre eux selon des règles immuables et relativement simples. L’expérience n’est pour rien dans la formation de ces connections. La découverte fait l’objet d’une publication dans le dernier numéro de la revue de référence PNAS.
Ces petits groupes sont estimés à une cinquantaine de neurones en moyenne. Les chercheurs pensent qu’ils pourraient être des « briques » essentielles, qui contiendraient en eux-mêmes des formes de connaissances fondamentales innées - par exemple, des représentations de certaines fonctionnalités simples du monde physique. Les connaissances acquises, telles que la mémoire, se formeraient en connectant ces briques à un plus haut niveau du système. «Cela pourrait expliquer pourquoi nous partageons tous des représentations similaires de notre environnement physique, alors même que la mémoire reflète nos expériences individuelles», explique Henry Markram.
Le principe déterminant la formation de ces microcircuits de neurones est étonnamment simple. Dans les grandes lignes, quand deux neurones sont connectés à un même voisin, la probabilité qu’ils soient eux-mêmes interconnectés est supérieure à la normale. Les chercheurs ont pu dégager un modèle statistique de cette observation.
Les scientifiques on testé in vitro des circuits de neurones de rats. Ils présentaient des caractéristiques similaires. Or, si ces circuits n’étaient formés que suite à l’expérience de l’animal, les valeurs devraient fortement diverger d’un individu à l’autre. Dans ce cas, la connectivité neuronale est donc en quelque sorte programmée à l’avance.
«Depuis environ 400 ans et les théories de John Locke, les recherches portant sur les processus d’apprentissage et de mémoire du cerveau sont guidées par la croyance que nous partirions d’une table rase, et qu’ensuite nous imprimerions des souvenirs à chaque nouvelle expérience. L’idée que la mémoire fonctionne comme un jeu de Lego, en assemblant des «blocs de savoirs», offre une perspective scientifique absolument nouvelle», explique Henry Markram.
La technologie actuelle nous permet pour la première fois de nuancer le postulat de la table rase, selon lequel nous naîtrions avec un esprit vierge de toutes connaissances. Une idée qui a fortement imprégné les sciences depuis des siècles. Il est indéniable que le savoir, au sens ou nous l’entendons habituellement (lire et écrire, reconnaître ses proches, maîtriser une langue…) est le résultat de nos expériences. Mais les travaux des scientifiques de l’EPFL tendent à démontrer que certaines représentations ou savoirs fondamentaux sont inscrits dans les gènes. Cette découverte redistribue les rôles entre inné et acquis, et représente une avancée considérable dans la compréhension des mécanismes du cerveau.