Le bacille du charbon cache son arme pour mieux frapper

Patrick Sandoz et Gisou van der Goot. © Alain Herzog / EPFL

Patrick Sandoz et Gisou van der Goot. © Alain Herzog / EPFL

Une infection à l’anthrax peut tuer sa victime même si l’agent infectieux n’est plus détectable. Des recherches menées à l’EPFL mettent en lumière la façon dont le facteur létal parvient à se rendre invisible au système immunitaire.

Le bacille responsable de la maladie du charbon (anthrax selon la terminologie anglo-saxonne) a développé une stratégie qui n’est pas sans rappeler l’épisode du cheval de Troie. Le facteur pathogène de cette bactérie est capable de pénétrer à l’intérieur d’une cellule de telle manière qu’il se rende totalement invisible, tant pour le système immunitaire que pour des analyses médicales. Il peut en outre s’en extraire, plusieurs jours plus tard, et intoxiquer d’autres cellules.

La mise au jour de ce mécanisme par une équipe de l’EPFL, de l’Université de Californie à Berkeley et du National Institute of Health à Washington permet enfin de comprendre pourquoi des organismes succombent à cette maladie parfois deux semaines après la disparition des derniers signes de présence bactérienne. «Cela fait plus de 50 ans que c’est un mystère, explique Gisou van der Goot, responsable d’unité au sein de l’Institut de recherche en infectiologie de l’EPFL. La bactérie disparaissait suite à l’administration d’antibiotiques, mais le sujet mourait quand même, quelques jours plus tard.»

Dans la peau de la cellule hôte
Les chercheurs se sont intéressés à la façon dont l’agent toxique pénétrait à l’intérieur des cellules. Composée de deux éléments – un «antigène protecteur» et un «facteur létal» –, cette toxine ne se contente pas de créer un passage à travers la membrane. Elle s’introduit plutôt par endocytose, un processus au cours duquel la cellule «avale» l’agent pathogène.

En outre, l’intoxication ne s’arrête pas là. Une fois à l’intérieur de la cellule, à l’abri dans son endosome où il peut rester en attente plusieurs jours, le facteur létal du bacille du charbon peut soit se libérer dans la cellule et provoquer son dysfonctionnement, soit être relâché dans le milieu extérieur dans de petites vésicules – on parle alors d’exosomes – et pénétrer à l’intérieur d’une autre cellule. «Le système immunitaire n’a aucune raison de réagir, puisqu’il ne voit que des exosomes, dont la paroi est composée des mêmes molécules que la paroi des endosomes de la cellule elle-même», explique Gisou van der Goot.


C’est la première fois que des scientifiques parviennent à décrire la transmission d’un agent pathogène sur une longue durée et une grande distance au sein de l’organisme. Leurs travaux, soutenus par le Fond National Suisse et le NCCR «Chemical Biology», ont été publiés aujourd’hui dans la revue Cell Reports. «Il y a encore beaucoup à apprendre sur les exosomes ; les résultats de cette recherche vont nous aider à mieux les comprendre», reprend Gisou van der Goot.

Concernant plus précisément la maladie du charbon, cette recherche pourra induire le développement de médicaments ciblant plus précisément le facteur létal tout en étant capables de pénétrer la membrane cellulaire.