La persistance des bactéries sous une nouvelle lumière

Vie, croissance et mort des bactéries sous l'oeil du microscope. © 2012 LMIC / EPFL

Vie, croissance et mort des bactéries sous l'oeil du microscope. © 2012 LMIC / EPFL

Grâce à la microfluidique, des chercheurs de l’EPFL ont pu observer individuellement le comportement de bactéries proches de celles de la tuberculose lorsqu’elles sont mises en présence d’antibiotiques. Ils réfutent les théories anciennes et proposent cette semaine dans Science une nouvelle explication des raisons de la persistance de certaines d’entre elles.

Il est souvent difficile d’éliminer complètement une infection bactérienne avec un antibiotique. Une partie de la population des parasites parvient en général à survivre – un phénomène dont la connaissance est presque aussi ancienne que la découverte de la pénicilline. Depuis plus d’un demi-siècle, les scientifiques pensaient pouvoir l’expliquer en supposant que les bactéries ayant stoppé leur croissance étaient celles qui persistaient le mieux face aux antibiotiques.

Jusqu’à présent, il n’était en effet pas possible de déterminer la croissance des cellules individuelles avant et après leur exposition à des antibiotiques, ce qui rendait imprécise l’analyse du phénomène. «Grâce à la microfluidique, nous pouvons aujourd’hui observer chaque bactérie individuellement, au lieu de se contenter de dénombrer une population», souligne John McKinney, directeur du Laboratoire de microbiologie et de microsystèmes de l’EPFL (LMIC).

Des survivants très actifs
Ces nouveaux outils ont révélé bien des surprises. «On croyait que les bactéries survivantes composaient une population fixe de cellules qui ne se divisent pas; or nous avons pu voir que certaines d’entre elles continuent à croître et se diviser pendant que d’autres meurent. Ainsi, la population persistante est très dynamique et les cellules qui la composent changent constamment – même si le nombre total reste stable. Comme elles se divisent, les bactéries peuvent subir des mutations et donc développer des résistance en présence de l’antibiotique», précise Neeraj Dhar, chercheur au LMIC.Ce point est d’une importance capitale. « Nous avons pu exclure une explication purement génétique à ce phénomène», poursuit Neeraj Dhar. En d’autres termes, «une population de bactéries génétiquement identiques présente des individus avec des comportements très variés. Certains d’entre eux peuvent ainsi s’adapter à un stress auquel ils n’ont jamais été confrontés, grâce à la sélection des individus qui persistent. C’est toute la théorie de l’adaptation qui pourrait être revue», reprend John McKinney.

Efficacité intermittente
Les chercheurs de l’EPFL se sont intéressés en particulier à un proche parent du bacille de la tuberculose. Leurs observations ont permis de contester formellement l’explication qui voulait que les bactéries persistantes sont celles qui n’étaient pas en train de croître. «Nous avons pu mettre en évidence le rôle d’une enzyme nécessaire au bon fonctionnement de l’antibiotique, et constater que les bacilles produisent cette enzyme de façon pulsatile et aléatoire», détaille Neeraj Dhar. «Nos mesures ont montré que la mort des bactéries était davantage liée à l’expression de cette enzyme qu’à leur facteur de croissance.» Cette recherche fait l’objet d’une publication dans Sciencecette semaine.

Ces conclusions pourraient marquer le début d’une nouvelle conception dans la compréhension de la persistance des bactéries, voire introduire une nouvelle vision sur l’évolution des résistances. Les recherches se poursuivent avec d’autres micro-organismes tels que le bacille de la tuberculose ou Escherichia coli. La persistance de certaines cellules cancéreuses aux traitements pourrait aussi être étudiée différemment. «C’est une nouvelle approche pour déterminer pourquoi certaines infections sont si difficiles à éliminer. Les techniques mises au point pour cette étude sont désormais aussi utilisées pour le développement de nouveaux antibiotiques, en collaboration avec les entreprises pharmaceutiques», souligne John McKinney. Qui précise que «ce sont les compétences présentes à l’EPFL en termes de microingénierie qui ont permis de créer ces outils innovants, ouvrant de nouveaux champs d’investigation».