La conscience du corps n'est pas affectée par la schizophrénie

Le «Full-body Illusion». Crédit: Roy Salomon

Le «Full-body Illusion». Crédit: Roy Salomon

En réponse à une question déjà ancienne, des scientifiques de l'EPFL ont établi que le sens de la conscience du corps n'est pas touché chez les patients schizophrènes.

Image: Dans l'illusion du corps entier, les participants voient leur dos caressé, et lorsque la vision et le toucher sont synchronisés, une illusion physique se produit, ce qui leur fait sentir une appropriation illusoire sur le corps vu. Cette étude a montré que, contrairement aux croyances antérieures, les patients atteints de schizophrénie n'ont aucun déficit de conscience du corps. Crédit: Roy Salomon

Les patients schizophrènes éprouvent souvent un sens altéré du soi, par exemple comme si quelqu'un d'autre contrôlait leurs actions. Ce trouble est décrit comme un déficit de la «capacité d'agir» («agentivité»), et quoiqu'il ait été bien établi et corrélé à des problèmes de signaux du cerveau sensorimoteur, une autre catégorie est restée inexplorée: le «sentiment de la conscience du corps» par lequel nous sentons que notre corps nous appartient. Au moyen d'une expérience d'illusion du corps entier, des scientifiques de l'EPFL viennent d'établir que la propriété du corps n'est pas affectée dans la schizophrénie. L'étude est publiée dans le Schizophrenia Bulletin.

L'étude a été réalisée par le laboratoire de Michael Herzog à l'EPFL. Dirigés par la post-doctorante Albulena Shaqiri, les scientifiques ont testé 59 patients souffrant de schizophrénie chronique, et les ont comparés à 30 individus sains. Les patients ont été soumis à un test bien établi nommé «Full-body Illusion», qui a été développé par le laboratoire de Olaf Blanke à l'EPFL.

L'idée qui sous-tend la Full-body Illusion est d'induire des changements dans la conscience du corps au travers d'une stimulation multi-sensorielle prolongée. Au cours de cette étude, les patients se faisaient caresser le dos en regardant leur dos se faisant caresser sur un corps virtuel, au moyen d'un casque de réalité virtuelle.

Lorsque les caresses réelles et virtuelles se produisaient simultanément, les participants éprouvaient typiquement un sens de la conscience du corps et d'identification avec le corps virtuel plus fort, tout en se sentant dériver vers celui-ci. Mais lorsque les caresses n'étaient pas synchronisées, les patients n'éprouvaient rien de tout cela.

L'étude a découvert que les patients réagissaient à l'illusion de la même manière que les participants en bonne santé, ce qui signifie que leur sentiment d'appartenance corporelle n'est pas affecté par la schizophrénie. «Cela n'a jamais été démontré ou rapporté», dit Albulena Shaqiri. «Jusqu'à maintenant, on pensait que chez les patients schizophrènes, le sentiment de la propriété du corps était altéré.»

«Cette découverte nous donne une compréhension plus réaliste des déficits du Soi dans la schizophrénie, et peut nous aider à trouver des solutions à ces problèmes», ajoute Roy Salomon de la Bar-Illan University, et l'un des auteurs principaux de l'étude.

Il est connu que les patients schizophrènes sont handicapés dans leur capacité d'agir, ce qui est lié a sentiment d'être l'auteur de ses propres actions. Cela provient de problèmes liés aux mécanismes sensorimoteurs dans le cerveau, qui entravent la capacité des patients à distinguer des actions autonomes de celles provoquées par des sources externes.

Jusqu'ici, la question de la conscience du corps est restée ouverte. C'est important parce que capacité d'agir et conscience du corps sont les deux composantes principales de ce qu'on appelle le Soi, et c'est là que la schizophrénie se manifeste.

«Il est important que de tels résultats «négatifs» soient publiés, dit Michael Herzog à propos de la découverte que la propriété du corps n'est pas atteinte dans la schizophrénie. «Sinon, on donne l'impression que les patients schizophrènes sont déficients dans tous les tests de paradigmes – ce qui, comme le montre notre étude, n'est pas vrai.»

«Cette étude suggère que la conscience du corps n'est pas affectée par la schizophrénie», dit Olaf Blanke. «Cependant, d'autres recherches sont nécessaires pour évaluer des aspects importants de la conscience de soi dans la schizophrénie, comme les nombreuses formes différentes de propriété du corps – la main, le torse, le visage –, leur dépendance à l'égard de stimuli multi-sensoriels, et leur relation à des aspects sensorimoteurs de la conscience de soi, tels que la capacité d'agir.»

Autres instituts ayant participé

EPFL Center for Neuroprosthetics

Beritashvili Centre of Experimental Biomedicine

Agricultural University of Georgia

Macquarie University

Tbilisi State Medical University

Bar-Ilan University

Financement

NCCR-Synapsy

Référence

Albulena Shaqiri, Maya Roinishvili, Mariia Kaliuzhna, Ophélie Favrod, Eka Chkonia, Michael H. Herzog, Olaf Blanke, Roy Salomon. Rethinking body ownership in schizophrenia: experimental and meta-analytical approaches show no evidence for deficits.Schizophrenia Bulletin 25 July 2017. DOI: 10.1093/schbul/sbx098