L'intrication quantique enfin tangible
Des chercheurs de l’EPFL ont conçu une expérience innovante capable de démontrer l’intrication quantique à un niveau macroscopique. Facile à mettre en place, elle est compatible avec des semi-conducteurs existants.
L’intrication quantique décrit le « jumelage » de deux particules subatomiques, qui leur fait former un état quantique commun. L’engouement actuel pour ce phénomène va croissant, car il défie les bases de la mécanique quantique et s’avère fondamental pour le traitement quantique de l’information et de la communication. Selon les dires des spécialistes, l’intrication se rencontre chaque jour au niveau macroscopique. Toutefois, les expériences qui s’efforcent de le prouver nécessitent souvent des conditions difficiles à atteindre dans les laboratoires usuels. Or, un article de Physical Review Letters annonce que des chercheurs de l’EPFL viennent de décrire un protocole expérimental capable de démontrer l’intrication quantique au niveau macroscopique grâce à un système contrôlable par la lumière. Contrairement aux précédents, ce protocole est relativement simple à suivre et utilise des nanostructures de pointe disponibles dans plusieurs laboratoires internationaux. De quoi propulser notre compréhension du monde quantique dans des directions inattendues.
« Action fantôme à distance »
L’intrication quantique est un phénomène étrange qui voit deux particules élémentaires se lier de façon si inextricable qu’un changement induit sur l’une d’entre elles entraîne une modification équivalente sur l’autre, et ce quelle que soit la distance qui les sépare. Les deux particules se comportent alors comme un tout, cette « corrélation » différant de tout ce que connaît la physique classique. Ce phénomène a d’ailleurs des implications tellement bizarres dans le domaine qu’Einstein lui-même le décrivait comme une « action fantôme à distance ».
L’intrication entre particules a été régulièrement observée en laboratoire, une entreprise canadienne ayant même déclaré avoir construit un ordinateur quantique en 2011. La question - aux conséquences à la fois fondamentales et pratiques - reste toutefois de savoir si celle-ci peut être obtenue au-delà du royaume microscopique des particules élémentaires, soit dans notre quotidien macroscopique. Si les propositions dans ce sens se sont révélées nombreuses, la plupart restent inapplicables, car elles requièrent des conditions et paramètres prohibitifs qui ne peuvent être implémentés dans nos laboratoires actuels.
Une expérience réalisable
Or, Vincenzo Savona et son postdoc Hugo Flayac viennent de décrire une expérience réelle et faisable afin de prouver l’existence de l’intrication quantique dans le royaume macroscopique. Celle-ci s’inspire de leurs recherches récentes en optomécanique, un domaine décrit par Savona comme « l’art de concevoir des systèmes qui interagissent avec la lumière d’une manière hautement maîtrisée et personnalisée grâce à une vibration mécanique donnée ». Cette dernière ressemble à une note musicale émanant d’un diapason, sauf que l’optomécanique requiert de minuscules systèmes conçus spécifiquement pour l’occasion.
« L’expérience commence avec un seul photon en superposition quantique de deux états », explique Savona. « Il ne s’agit pas encore d’intrication, car celle-ci implique par définition deux objets. Or, un système optomécanique se comporte de telle sorte qu’un photon est transféré à l’état de vibration mécanique quel que soit son état ». Un photon en superposition quantique voit donc son état converti en une paire de vibrations mécaniques intriquées (« notes ») de fréquences différentes.
« Cela représente une forme d’intrication », continue Savona, « car chaque note est faite de la vibration collective de milliards d’atomes. Il n’y a plus une seule particule, mais des milliards. C’est ce que j’appelle l’intrication macroscopique. »
Ce protocole fait qu’une fois les vibrations reconverties en lumière, celle-ci présente un schéma d’interférence bien particulier qui reflète l’existence de l’intrication. « Sous certaines conditions, l’interférence plus le fait que le système ne contient pas plus d’un quantum (p.ex. un photon) montrent que l’intrication a eu lieu. C’est ce que fait la phase de lecture de notre protocole: elle contrôle la présence d’un unique quantum dans le système. Cette vérification, additionnée à l’interférence, prouve que l’intrication est bel et bien réelle. »
Le système optomécanique utilisé ici s’appelle une « nanocavité à cristaux photoniques » (PCN). Il s’agit d’une nanostructure qui piège et retient la lumière pendant un certain temps tout en vibrant à deux fréquences de résonance différentes. L’intrication quantique de l’expérience de Savona utilise une PCN développée par son équipe et testée en 2014, dont un autre chercheur de l’EPFL, Tobias Kippenberg, a démontré qu’elle produisait des vibrations mécaniques de fréquences diverses lorsqu’elle interagit avec la lumière. « Le terrain de jeu idéal pour notre expérience », déclare Savona. « Il est crucial dans notre protocole, d’autant que la PCN permet de capter la lumière pour une durée assez longue. »
Cette expérience nécessite une température très basse (0.004 K ou -273.146 oC) au sein des systèmes optomécaniques, qu’il est néanmoins possible d’atteindre grâce aux lasers. Son concept est unique, car c’est la lumière qui permet ici de faire le lien entre l’intrication quantique et le royaume macroscopique.
Autre particularité, cette expérience est conçue pour pouvoir être réalisée dans les laboratoires d’aujourd’hui. « Notre approche diffère de tout ce qui a été imaginé jusqu’ici, » explique Savona. « Nous avons d’abord recherché quels étaient les systèmes physiques fabriqués et testés à notre disposition, puis nous avons étudié leurs propriétés physiques afin de trouver une manière de produire un état intriqué de modes mécaniques ».
L’équipe de Savona se réjouit désormais de réaliser cette expérience en collaboration avec d’autres groupes de recherche.
Source
Flayac H, Savona V. Heralded Preparation and Readout of Entangled Phonons in a Photonic Crystal Cavity.Phys. Rev. Lett. 113, 143603