«L'IA générative m'a permis d'élargir davantage mes horizons»

Julie Clerget © 2025 EPFL
Chercheuse au Centre LEARN spécialisée dans les sciences cognitives, Kim Uittenhove revient sur un parcours marqué par l’étude de la mémoire et de la cognition numérique. Elle évoque comment son cheminement l’a menée à intégrer progressivement l’IA comme levier central de sa recherche.
Pouvez-vous revenir sur votre parcours et comment l’intelligence artificielle s’est progressivement imposée comme un fil rouge ?
Tout commence en Belgique en 2004, à l’université de Gand où j’ai effectué un bachelor et un master en psychologie théorique et expérimentale. Ce sont des programmes qui préparent à la recherche dans ce domaine-là et qui sont alignés avec les sciences cognitives, impliquant d'étudier et de comprendre tout ce qui est lié au raisonnement, au langage, ou encore à la mémoire.
Je situerais les débuts de mon intérêt pour l’intelligence artificielle déjà à partir de cette époque-là de mon parcours. Pas encore en tant qu’outil d'analyse, mais comme moyen de comprendre comment le cerveau effectue certains traitements. Les réseaux neuronaux permettaient de modéliser les aspects de la mémoire ou du langage et à l’Université de Gand on nous apprenait à les utiliser pour modéliser ces fonctions.
Je pense que là où j’investis beaucoup d’efforts, et où je peux exprimer ma créativité, c’est vraiment le développement méthodologique à différents niveaux: trouver la bonne méthodologie pour étudier une question de recherche, pour analyser les résultats, et pour diffuser les résultats.
Par la suite, je suis partie faire une thèse à Marseille qui portait sur le vieillissement cognitif. Nous y avons étudié les processus de mémoire et de cognition numérique dans le contexte du vieillissement. J’ai enchainé sur un postdoc à Genève où j’ai continué à étudier la cognition numérique, mais cette fois-ci chez des jeunes adultes et j’ai participé à plusieurs autres projets touchant à la mémoire de travail.
J’ai ensuite rejoint l’université de Lausanne où, avec mon équipe, nous avons mené la première étude nationale sur les centenaires. C’était une approche interdisciplinaire, mêlant psychologie, biologie, sociologie, psychiatrie et bien sûr, ma partie, focalisée sur la cognition et les fonctions exécutives à cet âge-là.
Dans ce contexte-là, j’ai développé une application que j’ai appelée Coregraph. Lorsque l’on fait passer des tests neuropsychologiques à des personnes âgées qui incluent une composante graphomotrice, cette application mesure les données cinétiques chaque cinq millisecondes ; un point X et Y sur la feuille, la pression, etc. Ces données permettent de distinguer différents aspects qui contribuent à une baisse de performance en lien avec le vieillissement.
En parallèle, j’ai aussi obtenu un projet Spark sur l’utilisation de l’intelligence artificielle pour classer des schémas de comportements dans une tâche de mémoire. Je me suis donc intéressée à la programmation de réseaux neuronaux, cette fois-ci en tant qu’outil pour analyser des données plutôt que pour modéliser des fonctions cognitives.
C’est durant ce projet que l’IA générative est arrivée et a chamboulé tout le champ de la recherche et de l’application de l’IA. J’ai alors commencé à intégrer ces IA génératives dans mes tâches de recherche, notamment pour faire des analyses de la littérature automatisées, et cela m’occupe encore aujourd’hui dans mes travaux au Centre LEARN.
Quels sont les aspects de votre recherche qui vous motivent le plus ?
Cette translation s’accompagne de beaucoup d’obstacles qu’on ne retrouve pas dans le contexte idéalisé de la recherche effectuée dans un laboratoire. Ce n’est pas toujours évident mais c’est ce qui rend vraiment fascinant ce type de mission.
Je pense que là où j’investis beaucoup d’efforts, et où je peux exprimer ma créativité, c’est vraiment le développement méthodologique à différents niveaux: trouver la bonne méthodologie pour étudier une question de recherche, pour analyser les résultats, et pour diffuser les résultats.
Dans ce contexte, l’intelligence artificielle générative m’a permis d'élargir davantage mes horizons. J’ai l’impression que cela m’ouvre encore plus de possibilités en matière de programmation.
Le contexte appliqué de la recherche que l’on mène ici au sein du Centre LEARN est ce qui m’a ensuite vraiment attirée à l’EPFL. J’avais envie d’inscrire la recherche dans une démarche de translation de ce que l’on trouve dans des initiatives concrètes et dans des changements concrets dans le domaine de l’éducation. Cette translation s’accompagne de beaucoup d’obstacles qu’on ne retrouve pas dans le contexte idéalisé de la recherche effectuée dans un laboratoire. Ce n’est pas toujours évident mais c’est ce qui rend vraiment fascinant ce type de mission.
Vous planchez actuellement sur le développement d’un outil permettant d’explorer et de tirer parti des pratiques liées à l’IA dans l’éducation. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Il s’agit du Living Catalog, qui a pour objectif de recenser les pratiques émergentes liées à l’intelligence artificielle dans le domaine de l’éducation. Par exemple, avec des sujets tels que l’utilisation de l’IA générative pour fournir des feedbacks aux étudiants, ou pour créer des évaluations ou encore, pour stimuler l’apprentissage actif.
L’objectif est d’identifier l’ensemble de la littérature disponible sur une question ou pratique donnée. Le catalogue en propose ensuite une synthèse, accompagnée d’un tableau répertoriant toutes les études analysées avec une indication des éléments comme le niveau d’éducation, le type de données récoltés, les modèles théoriques utilisés, des résultats, ou encore des limitations de l’étude. On peut ainsi effectuer des recherches filtrées dans ce corpus, obtenu grâce à une approche structurée, utilisant des outils d’IAG.
Bien qu’il existe maintenant des outils d’IA générative pour soutenir la recherche académique sur le marché, dans le cas du Living Catalog, nous avons voulu garder le contrôle sur l’utilisation des IAG dans l’analyse de la littérature : je lance des requêtes sur des questions précises auprès de trois bases de données, pour ainsi recueillir toutes les références potentiellement pertinentes. Elles sont ensuite réduites pour ne conserver que celles qui sont disponibles en libre accès et dont le texte est disponible intégralement pour être analysé.
Ensuite, je décide des critères utilisés pour les filtrer. Ce filtrage, je ne le fais pas à la main, je fournis des critères à un LLM pour filtrer parmi ces références, celles qui sont les plus pertinentes pour chaque question étudiée. Je peux donc garder le contrôle, et si je souhaite repartir en arrière et examiner d’autres références, j’ai toutes ces traces conservées. C’est pourquoi je préfère cette approche-là: la transparence et le contrôle permettent de garantir la qualité et la rigueur des résultats obtenus.
En tant que chercheuse au sein de la mission interne du Centre LEARN, vous menez des études sur l’enseignement et l’apprentissage au sein de l’EPFL. Quels projets vous occupent actuellement dans ce contexte ?
J’ai quelques projets en cours en collaboration avec le Centre pour l’éducation à l’ère digitale (CEDE) notamment. Avec Patrick Jermann, son directeur, nous avons développé un chatbot basé sur l’IA générative pour stimuler la réflexion métacognitive chez les étudiants. D’autres projets s’annoncent pour développer des applications éducatives avec l’IA générative.
Et bien sûr je fais aussi de la recherche ici comme l’enquête sur l’utilisation de l’IA générative par les enseignants de l’EPFL, effectuée l’automne dernier. Sur la base des données récoltées à cette occasion, nous développons des initiatives pour soutenir nos enseignants dans l’intégration de l’IA générative dans leur pratique.
Cette enquête a révélé qu’ils avaient envie de l’utiliser davantage pour soutenir l’apprentissage chez leurs étudiants mais que dans la pratique ils ne l’utilisent pas beaucoup. Nous avons collecté plusieurs mesures qui peuvent nous aider à comprendre pourquoi il y a cet écart entre l’utilisation désirée et l’utilisation actuelle et nous essayons de travailler avec ces variables pour mettre en place des initiatives.
C’est un projet sur lequel j’ai aussi beaucoup travaillé avec Iris Capdevila, Conseillère pédagogique au Centre d'appui à l'enseignement (CAPE). Nous avons rédigé un article dans lequel nous présentons notre approche basée sur des données probantes pour développer des initiatives concrètes à l’EPFL tout en s’inspirant tout de même des théories d’adoption de l’innovation et du changement, qui est le domaine d’expertise d’Iris.