L'homme bouleverse le climat depuis des millénaires

© Astrid Westvang (creative commons)

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Les conquêtes romaines, la peste noire ou la conquête de l’Amérique, en modifiant les forêts, ont eu un impact significatif sur le climat. Telle est la découverte d'une équipe de l’EPFL, qui a retracé la longue histoire de nos émissions de carbone.

«L’être humain n’a pas attendu l’ère industrielle pour bouleverser l’environnement et le climat. Il exerce une influence depuis au moins 8000 ans.» Jed Kaplan propose une nouvelle interprétation de l’Histoire de l’homme et de son environnement. Ce professeur boursier à l’EPFL et sa collègue Kristen Krumhardt ont mis au point un modèle expliquant les liens entre accroissement de la population et déforestation. La méthode permet d’estimer assez précisément les émissions de carbone d’origine humaine avant l’industrialisation.

L’histoire de notre influence sur le climat commence avec les premiers agriculteurs. A cette époque, les techniques ne permettaient pas une utilisation optimale des sols. «Pour chaque personne il fallait défricher une très importante surface de forêts», explique Jed Kaplan. Au fil du temps, l’irrigation, l’outillage, les semences ou les engrais gagnent en efficacité. Un facteur capital, qui va contrebalancer en partie l’augmentation de la population, et contenir la pression humaine sur les milieux naturels.»



Animation, commentée par Jed Kaplan


L’agriculture, l’histoire d’une course au rendement

Le rapport entre population et surfaces agricoles n’est donc pas simplement proportionnel, comme on le postulait auparavant. Au moyen-âge, l’Europe comptait moins de forêts qu’aujourd’hui, alors même qu’entre temps la population a plus que quintuplé. «La grande nouveauté de notre travail, c’est précisément de prendre en compte l’amélioration des techniques de l’agriculture. Les modèles standards postulent simplement que plus la population est importante, plus on rase de forêt. Or, cela ne correspond pas à la réalité historique.»

Ignorant les progrès de l’agriculture, les modèles précédents impliquent qu’une même surface de terrain est nécessaire pour nourrir un européen au Vème siècle et au XXème siècle. C’est pourquoi les scientifiques peinaient à parvenir à estimer la quantité de CO2 produite par l’homme avant l’ère industrielle. Les travaux de l’équipe de Jed Kaplan permettent pour la première fois de remonter le fil du temps.

L’Empire romain ou la peste noire ont influencé le climat

Les résultats esquissent une histoire très différente de ce qui était couramment admis jusqu’alors. Ils montrent, par exemple, un premier boom des émissions de carbone 2000 ans avant notre ère déjà, correspondant à l’expansion des civilisations en Chine et autour de la méditerranée.

Certains événements historiques, presque invisibles dans les modèles précédents, apparaissent de manière évidente sur la courbe des chercheurs. Ainsi en est-il de la repousse des forêts consécutive à la chute de l’Empire romain. La peste noire, qui a emporté dans son sillage plus d’un tiers de la population européenne, se traduit également par une chute des émissions.

Du génocide des indiens d'Amérique au petit âge glaciaire

Enfin, une baisse considérable des émissions s’amorce au 16ème siècle – celle-là même qui allait donner lieu au fameux petit âge glaciaire. Jed Kaplan ose une hypothèse pour expliquer le creux de la courbe. «Grâce aux témoignages des premiers explorateurs, nous savons que les forêts étaient alors moins abondantes sur le continent américain. Puis les colons ont éliminé les indiens.» Poussées au bord de l’extinction, les populations indiennes auraient laissé la place aux forêts qui, en séquestrant le carbone de l’atmosphère, auraient à leur tour provoqué les frimas légendaires du 19ème siècle. «Il ne s’agit bien sûr que d’une hypothèse, mais au vu des données dont nous disposons elle me semble tout à fait raisonnable.»

Quoi qu’il en soit, le modèle de Jed Kaplan ne contredit pas ses prédécesseurs sur un point capital : l’explosion des émissions à partir de l’ère industrielle et de l’utilisation massive des carburants fossiles. «Nous disons juste que notre influence sur le climat a commencé bien plus tôt que nous ne le pensions. En 6000 avant notre ère, nous cumulions déjà une quantité significative de carbone dans l’atmosphère, même si le phénomène était sans commune mesure avec ce qui se passe aujourd’hui», précise le chercheur. Un constat qui pourrait s’avérer capital pour mieux évaluer, à l’avenir, l’influence décisive des forêts sur le climat.


Auteur: Lionel Pousaz

Source: EPFL