«J'avais la sensation que nous vivions sur une autre planète»
Julia Schmale, Professeur au Laboratoire de recherches en environnements extrêmes - Chaire Ingvar Kamprad à EPFL Valais Wallis, est une chercheuse aventurière. Son territoire ? Les environnements extrêmes dans les coins les plus reculés de la planète. Sa dernière expédition en Arctique l’a confinée pendant 4 mois dans les glaces, loin du Covid-19 mais impactée par ses effets.
Rentrée de son périple polaire, Julia Schmale ne peut pas oublier les quatre mois, deux mois de plus que prévu, qu’elle vient de passer, coincée dans les glaces mouvantes et en constante évolution de l’Arctique. « La première chose que je faisais en me réveillant le matin était de monter sur le pont, regarder si nos instruments étaient en lieu sûr et attraper les jumelles pour évaluer s’il y avait moyen de poser le pied sur la glace », raconte la directrice du Laboratoire en environnements extrêmes, sur le campus de Sion. « Suivaient des discussions avec la logistique et les autres scientifiques à bord, afin de déterminer dans quelle mesure nous pouvions rejoindre nos sites de mesure. Nous avons appris la patience, car si la glace et la météo vous disent de ne pas y aller, vous n’y allez pas et vous attendez le jour suivant. Ou celui d’après s’il le fallait. »
Travailler dans la tempête de poudreuse © Julia Schmale
Sur le Polarstern, un brise-glace de recherche allemand, 60 scientifiques venus du monde entier travaillent ensemble. « J’avais la charge de l’équipe d’analyse atmosphérique. Il y avait aussi l’équipe océan, l’équipe glace, celle de l’écologie, une autre en biogéochimie, l’équipe responsable des données et l’équipe logistique.» Tout absorbés par leurs recherches et l’adaptation journalière aux aléas météorologiques, les chercheurs embarqués sur le Polarstern sont à mille lieues, au sens propre comme au figuré, des préoccupations anxiogènes qui monopoliseront bientôt la planète.
Une piste couverte de fissures et de crêtes © Christian Rohleder
« Au début du mois de mars, lorsque le confinement a commencé en Europe, nous n’y avons pas prêté attention. Nous étions concentrés sur l’organisation du voyage de retour. Il fallait tracer une piste d’environ un kilomètre sur la banquise près du bateau afin de permettre à un Antonov de déposer la nouvelle équipe de scientifiques et de nous embarquer. »
La glace se fissure et les avions ne décollent plus
Le 11 mars, la nature en décide autrement : la glace se fissure derrière le bateau à une vitesse étonnante. Les chercheurs doivent regagner le Polarstern au plus vite pour ne pas se retrouver piégés de l’autre côté. « Nous n’étions pas confinés à cause du coronavirus, mais de la situation sur place. C’était notre première préoccupation, nous ne pouvions plus tracer cette piste pour que l’avion puisse se poser. Nous cherchions d’autres alternatives.»
La fissure fraîchement formée oblige les scientifiques à regagner le bateau © Christian Rohleder
Peine perdue ! Tous les vols sont annulés pour cause de pandémie, plus aucun avion à l’horizon. Les 60 chercheurs n’ont aucune chance de voir arriver la relève scientifique, de recevoir de la nourriture ou du fuel: « Fin mars, début avril, il devenait clair que nous n’allions pas pouvoir quitter les lieux rapidement. Heureusement, il y avait assez de marchandises sur le bateau pour tenir jusqu’à l’été. Lorsque vous vous lancez dans des périples comme MOSAiC, qui doivent durer un an, il y a suffisamment de réserves à bord pour faire face aux imprévus. »
Préparation du ballon captif © Julia Schmale
Les femmes et les hommes de l’expédition en Arctique n’ont qu’une vague idée de ce qui se passe réellement à terre, rien de similaire n’était encore arrivé lors d’une expédition. Sans accès à Internet, et ne pouvant effectuer que des appels limités à leurs proches, en utilisant un téléphone satellite, il leur est difficile de comprendre la situation. « C’était très différent de ce que vous avez pu vivre. Sur ce bateau, nous avions la sensation d’être sur une autre planète. Chacun ayant commencé l’aventure fin janvier, nous avions quitté le monde « réel » un mois avant la pandémie. Ce sont nos familles et nos amis en Chine, en Amérique, en Europe, qui nous racontaient ce qu’ils vivaient. Nous échangions nos informations aux heures des repas ou autour d’un café afin de rassembler les pièces du puzzle. Le médecin de bord nous a parlé de ce nouveau coronavirus.»
Après l'expédition MOSAiC, Julia Schmale a déjà d'autres projets en tête © 2017 Julia Schmale
Aujourd’hui, Julia Schmale a retrouvé le confort de son laboratoire sédunois et prépare déjà la suite de ses aventures. « Notre prochain projet, si la situation le permet, se déroulera en Alaska, à Fairbanks, ou au Groenland, au début de l’année prochaine. Nous étudierons la distribution verticale des particules et des gaz, lorsque l’Arctique passe de la nuit polaire au jour. »