Horloge interne et alimentation rythment le travail du foie
Les organismes vivants se sont adaptés au cycle du jour et de la nuit et disposent pour la plupart d’une «horloge circadienne», un véritable métronome cellulaire, dont les effets ne sont pas tous connus. Une équipe de la Faculté des Sciences de la Vie de l’EPFL et du Nestlé Institute of Health Sciences révèle que le foie produit ou libère des protéines selon un rythme dicté à la fois par l’alimentation et par cette horloge.
Pourquoi la faim ne nous tire-t-elle généralement pas du lit au milieu de la nuit, alors qu’un jeûne de huit heures après les tartines du matin nous semblerait vite désagréable? Chacun à sa manière, nous percevons de façon diffuse que le rythme imposé à notre organisme par la succession des jours et des nuits a d’importantes conséquences métaboliques. Le «jet-lag» de ceux qui pratiquent de longs vols en est une autre manifestation.
Si d’innombrables études ont déjà été menées sur l’horloge circadienne des organismes vivants, les outils d’analyses disponibles aujourd’hui permettent d’observer de plus près, au niveau même des protéines issues de certains gènes, les impacts réels de cette horloge sur certains processus biologiques. C’est à cela que s’est attelée une étude conjointe de l’EPFL et du Nestlé Institute of Health Sciences (NIHS), grâce à un prix de la fondation Leenards distribué en 2012. Ses résultats ont été publiés la semaine passée dans les Proceedings of the National Academy of Science USA (PNAS).
En étudiant par spectométrie de masse les protéines extraites de foies de souris, les chercheurs placés sous la direction de Frédéric Gachon (NIHS) et Felix Naef (EPFL) ont pu mesurer les concentrations de plus de 5000 protéines différentes – là où les techniques précédentes ne permettaient d’en identifier au mieux que quelques centaines. «Ceci nous a permis d’observer que 6% des protéines sont exprimées de façon rythmiques, explique Felix Naef. Cela nous a semblé faible, étant donné que l’on sait que près de la moitié des gènes actifs dans le foie suivent un rythme. Mais le plus étonnant, c’est que plus de la moitié de ces protéines rythmiques sont issues des gènes dont les messagers ARN ne sont pas influencés par l’horloge circadienne.»
Cet apparent paradoxe laisse entendre que ce n’est pas la traduction des gènes en protéines qui est influencée par l’horloge circadienne, mais plutôt la façon dont le foie choisit de stocker ces protéines en réserve, ou au contraire de les relâcher dans l’organisme.
Les chercheurs ont observé une accumulation des protéines sécrétées durant la nuit, ce qui suggère que la sécrétion des protéines est plus importante pendant la journée. Il en résulte une concentration plasmatique maximale durant la nuit, la période active de la souris. En effet, à l’inverse des humains, les souris sont des animaux nocturnes qui mangent et sont actifs la nuit alors que leur organisme se repose le jour. «Nos expériences tendent à prouver que le rythme imposé par l’alimentation est prioritaire par rapport au rythme circadien; il semble toutefois que c’est lorsque ces deux rythmes sont en phase que les contrastes sont les plus forts», précise Frédéric Gachon.
Une prochaine étape de cette recherche tentera de transposer certaines de ces conclusions à l’être humain. «Nos recherches permettront de développer des stratégies basées sur l’alimentation pour traiter des patients souffrant de troubles liés à un dérèglement de l’horloge circadienne», estime Felix Naef.